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LA DAME D'URFÉ. 235 consolée, quand il eût vu le sourire revenir fugitivement sur ses lèvres, il tendit la main au vieux majordome. — Mon vieil ami ! lui dit-il, et s'adressant à son tour à l'époux de Marguerite : Guillaume, ajouta-t-il, ta femme ne peut plus rester au château , j'ai acheté un domaine à Chambéon et une maison forte -, vas-y habiter. Tu les tiendras à foi et hommage, avec les redevances et servitudes d'usage ; le garde-note pré- parera ce soir les parchemins et demain tu entreras en posses- sion. Tu auras là de quoi élever ta famille ; tu acceptes ? — Oh ! Monseigneur. — Et toi, mon vieil Aubry, tu consens, à laisser ta fille s'é- loigner de toi ? Aubry ne répondit pas. Il avait les yeux pleins de larmes. — J'oubliais de te dire, Aubry, que le comte de Mà cou doit m'envoyer du vin des meilleurs coteaux de la Bourgogne ; tu le recevras à son arrivée, et tu ne le laisseras pas dépérir dans nos celliers. Et vous, Gertrude, veillez à ce que rien ne manque dans la chambre des dames ; je ne m'en rapporte qu'à vous pour ces soins. Lorsque Isambert se fut éloigné et fut rentré dans le manoir, Aubry essuya ses yeux : — Mes enfants, s'écria- t-il, il y aurait du plaisir à se faire tuer pour un si bon seigneur. — Je jure, dit Guillaume, que lorsque je seraiù sa portée sur les champs de bataille , jamais fer de lance ne touchera son haubert tant que je pourrai manier la hache d'armes. — Mais sa femme , dit Gertrude, Dieu lui rende le mal qu'elle nous a fait, et que ses larmes paient celles qu'elle nous a fait répandre. — Est-ce un vœu charitable ? dit le majordome. — C'est le vœu d'une mère, reprit Gertrude, et Dieu l'exaucera. Lorsque Isambert entra dans la vaste salle dont les vitraux étaient dorés en ce moment par les derniers rayons du soleil couchant, les chevaliers devisaient autour du fauteuil d'Hirman- tride, et ils cherchaient à lui faire oublier, par leurs propos joyeux, le malencontreux événement qui la préoccupait malgré elle.