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DE LA DÉCADENCE ROMAINE. 289 donner de somptueux repas à ceux qu'on invitait en son nom. Le maître de ce fameux cheval ne voulait cependant pas se voir surpassé par lui, et s'il donnait à dîner, il dé- pensait jusqu'à dix millions de sesterces, en une seule fois. Il est vrai que pour trouver matière à prodiguer ainsi ses tré- sors , Caligula faisait boire à ses convives des perles très- précieuses , dissoutes dans du vinaigre , et il leur servait ex auro panes et obsonia, des pains et des mets d'or. Cette vanité de prodigue n'était pas chose absolument rare. Cléopâtre avait déjà donné l'exemple des perles dissoutes dans du vi- naigre ; et, avant elle , Clodius , fils de l'auteur tragique Ésope, ayant eu de son père une immense fortune, voulut connaître le goût des perles en dissolution. Elles lui plurent beaucoup , et pour régaler ses convives il leur en fit avaler une à chacun. Le fils ne faisait que suivre l'exemple de son père : celui-ci servit un jour à ses invités un plat composé seulement d'oiseaux chanteurs , ou imitant la voix humaine. Il lui coûta cent mille sesterces , et chaque oiseau avait été acheté au prix de six mille. — Senec. ad. Helv. 9. — Suet. in Calig. 37. — Plin. ix. 59 x. 72. — Hor. sat. n. 3, 239e. C'est bien là un exemple de cette vanité qui se plaît à étaler orgueilleusement, aux yeux des autres, une richesse stupidement dépensée, en vue d'exciter l'envie du vulgaire. Les oiseaux chanteurs et parleurs sont généralement durs ; mais, ainsi que la perle dissoute, on les servait pour la gloire pécuniaire du maître. Le luxe introduisit l'usage de manger des rossignols, dont l'éducation avait coûté beaucoup de soins et de peines. Ces petits oiseaux savaient chanter plu- sieurs airs , et ils se vendaient autant que des esclaves. — Plin. x. 43. — Hor. sat. n. 3 , 245. — Martial se moque de cette dépravation de goût, en parlant du phénicoptère, dont la langue était très-recherchée des gourmands, et il dit : qu'elle serait encore bien meilleure, si elle savait chanter.— xm, 71. 19