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469 fidèles organes, et que sa gloire a été adoptée comme une gloire fi- liale par les gardiens même de l'orthodoxie. Aucune des questions qui se rattachent à Dante n'a été omise dans le livre de notre compatriote, il l'a noblement défendu du re- proche d'avoir déserté ses drapeaux politiques, et, le premier de tous ceux qui ont écrit sur ce sujet, il nous paraît avoir admirablement compris le rôle du poète florentin dans les discordes de sa patrie, rôle qui est, toujours et partout, celui des esprits élevés. « Par son respect pour l'église, par ses attaques systématiques « contre la féodalité, Dante inclinait au parti guelfe, les théories « monarchiques dont il faisait profession, les inimitiés qu'il nour- « rissait contre la France le rapprochaient des Gibelins. Mais l'effet « de ces tendances diverses ne fut pas de l'entraîner tour à tour « dans les deux sens contraires, il suivit la ligne résultante de leur « action simultanée. Il n'erra point, [transfuge irrésolu, entre les « deux camps rivaux, il planta sa tente sur un terrain indépendant, « non pour se renfermer dans une indifférente neutralité, mais pour « combattre seul avec la puissance de son génie, et, lorsque les fac- « tions semblaient l'envelopper dans leurs plis tumultueux et le • « rendre solidaire de leurs crimes, il protestait hautement contre « elles ; ces paroles sévères descendaient comme les coups alterna- « tifs d'une massue infatigable sur la tête des auteurs et des compa- « gnons de son exil, sur les noirs et les blancs, sur les Gibelins et « les Guelfes. Il ne craignit pas de multiplier parmi ses contempo- « rains le nombre de ces ennemis, afin de garder son nom pur de « toute alliance humiliante aux yeux de la postérité. » • L'idéal social de Dante; c'était l'église universelle et la monarchie universelle coexistant vis-à -vis l'une de l'autre dans toute leur indé- pendance et dans toute leur force. Le monde féodal et aristocratique du moyen-âge lui était odieux. Il rêvait l'égalité de la grande famille humaine, sous la double paternité du pape et de l'empereur. C'est ce qui explique un des tableaux les plus sublimes et les plus étranges de son enfer, la réunion dans l'abîme des meurtriers de César et de l'apôtre qui vendit le Christ. La triple gueule de Salan déchire à la fois Cassius, Brutus et Judas, coupables d'attentat contre la divine majesté de l'Empire et de l'église en la personne de leurs chefs.