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l'envoyait ; je le mis à ma ceinture, et il ne m'a pas plus
quitté que mon projet de vengeance n'a quitté mon cœur.
Je ne craignais plus la barbare humanité de mes enne-
mis. La chaloupe avait gagné le bord, et je voyais mes ca-
marades qu'on jetait par dessus la lisse sur le pont de la cor-
vette. Oh! comme mon cœur saigna et se tordit quand je crus
reconnaître Olivier parmi ses infortunés compagnons. Àssis-
* 1er, sans pouvoir le sauver, au supplice de son ami, de son
frère, de ce qu'on a de plus cher au m o n d e , c'est une
torture horrible !
— Une teinte cuivrée et rougeâtre obscurcissait le ciel.
L'horizon était rétréci par des montagnes d'eau. Des nua-
ges d'une forme horrible, s'en détachant, couraient sur les
vagues qu'ils paraissaient toucher.
Jamais je n'avais vu une tempête si terrible durer aussi
long temps. J'étais le seul témoin de ses fureurs, la seule vic-
time échappée à sa rage et à celle des hommes. Quelle éloile
maudite m'avait donc épargné !Je crus voir dans cet effet
du hasard ou d'une volonté providentielle l'ordre de poursui-
vre ma destinée, pour punir la trahison.
Je croisai les mains sur ma poitrine, et assis sur le ro-
cher, les pieds mouillés par la poussière des écumes, les
cheveux flottants au souffle de la tempête, je contemplai la
mer, sur laquelle montait et descendait la corvette anglaise.
Je voulus assister au supplice de mes braves compagnons,
afin de nourrir et d'augmenter encore ma vengeance.
Je vis des matelots anglais monter sur la grande hune,
s'étendre sur la vergue, y frapper des palans, et descendre.
Je vis des hommes qu'on amenait sur le p o n t , les mains
liées derrière le dos ; d'autres s'en approchèrent ; une voix
aigre et rauque sembla venir jusqu'à m o i , apportée par
le vent comme par un. é c h o — Un mouchoir flotta par
dessus la lisse... 0 Dieu! c'était lui, lui que les vagues avaient
épargné, lui que les malheureux avaient sauvé et relevé du
tombeau pour l'y rejeter avec plus de cruauté. . . . .
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