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210 Mais la prédilection du poète est acquise à d'autres pages de son livre. Nous lui disions un jour qu'il a certainement écrit des choses meilleures, des choses plus imposantes et plus belles, mais que cette simple élégie lui gardera toujours et avant toutes une place clans les cœurs ; il répondit par un geste de modeste indifférence, ouvrit son volume, et choisit une pièce plus d'une fois mouillée de ses larmes, puis, avec une voix graduellement émue, nous récita les vers que voici: Revenez, revenez, beaux jours de mon enfance, De votre aspect riant charmer ma souvenance, Comme dans le désert brûlant et spacieux, Sur la verte oasis se reposent les yeux. Mon cœur, mon pauvre cœur, à la tristesse en proie, En fouillant le passé vous retrouve avec joie, Jours naïfs, plaisirs purs, emportés par le temps, Ainsi que le parfum des fleurs par les autans ; Quand notre bon curé, d'un doigt glacé par l'âge, Me caressait la joue et me disait : Sois sage ! Quand mes pieuses mains, aux prières du soir, Pour ranimer ses feux balançaient l'encensoir ; Alors que, réveillé bien avant la lumière, Pour mon premier voyage, à travers la portière, Surpris, je contemplai dans l'orient lointain, Pour la première fois trois heures du matin ! Quand, pour trouver des nids, fouillant dans ses bocages, Le Vislre me voyait explorer ses rivages, Et, dans ses fraîches eaux trompant l'ardent midi, Goûter tous les plaisirs du vagabond jeudi, Jour alors le plus beau de toute la semaine, absence de tout ce qui sent l'école et la convention. Vous comprenez que l'artiste n'a eu d'autre maître que la nature, mais qu'elle en a heureusement mis à profit les leçons, ou, pour mieux dire, les dons. On ne sait si ce groupe fait plus d'honneur au poète qui l'a inspiré qu'au sculpteur qui a su exprimer la pensée de son modèle avec tant de bonheur et de vérité. C'est véritablement une élégie sculptée à côté d'une élégie chantée.