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du lion interroge le désert, et il s'élève des rugissements ; le serpent se dresse et siffle au bord de son rocher, l'oiseau fatigue sans but son aile effrayée, le coursier inquiet frappe du pied et fait voler des nuages de poussière ; Léviathan, qui fuit à travers les flots, sème la tempête dans toute la longueur de l'Océan, et jette d'effrayantes vagues sur les falaises. Au dessus de ces régions consternées, le poète et son guide céleste poursuivent leur course , et arrivent e n - fin dans une autre région que peuplent les fantômes des siècles écoulés, des royaumes, des cités qui eurent tant de splendeur, et que l'homme nommait tristement à l'homme, ï h è b e , Memphis, Tyr, Carthage, Babylone, Ninive, Solyme. Ces grandes ombres se dérobent aux yeux des pèlerins, mais le fds de la terre aperçoit au milieu d'elles un auguste fan- tôme, radieux encore et superbe, celui de la France. Le poète alors s'approche avec piété de la patrie déchue, de la patrie qui lui raconte les causes de son deuil et de sa ruine. Il les a cherchées dans une préoccupation du moment, dans une trop malheureuse réalité, sans nul doute, mais enfin dans un état de choses qui, à tout prendre, n'est pas plus ignoble ni plus dégoûtant que ne le furent tant d'autres époques de l'his- toire. Ce tableau de notre dégradation sociale présente des traits frappants et acérés (1) ; le siècle peut s'y reconnaître, pour peu qu'il le veuille ; e t , afin que son langage soit bien entendu, le poète y revient à deux fois (2). Quand il a pris enfin congé de l'auguste apparition, il pour- suit avec son mystérieux guide un voyage plus mystérieux encore, et le voilà aux portes des cieux. Il entre dans ces flottants palais où son œil est émerveillé d'un jour et d'une splendeur que le verbe humain ne saurait dire ; puis, à tra- vers ces innombrables esprits qui errent en éclatantes légions aux célestes plaines Comme de blanches nefs sur la mer azurée, (1) Chant II, pag. 70. (2) Voyez le chant I, pag. 24-25. 15