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SÛ6 C'est la même pensée que Reboul exprime ici avec une vague teinte de sentiment : Combien de diamants dans la terre enfouis Ne brilleront jamais aux regards éblouis ! Que déjeunes beautés, ravissantes colombes, Sans passer par l'hymen, descendront dans leurs tombes (1) ! Or, ce ne sont pas seulement les carrières scientifiques et lit- téraires qui se trouvent ainsi brisées ; le plus faible ruisseau, comme le plus large fleuve, peut être détourné de sa course et s'étonner d'un lit qui n'est pas le sien. Toutefois, il y a une sorte de compensation établie par la Providence, qui nous donne avec le talent un lumineux éclat que le talent seul n'eût pas obtenu, en dehors de sa condition. Burns, avec sa char- rue, est immortalisé tout aussi bien que lord Byron ; Jean Reboul, avec sa boulangerie, est immortalisé tout aussi bien que Lamartine, sinon la poésie aujourd'hui n'a plus de r e s - plendissante auréole à jeter au front du barde, en récompense de ses chanls. Il n'est pas jusqu'au menuisier de Nevers dont les lettres n'aient popularisé le nom pour quelques méchants couplets, où perce simplement un peu de verve bachique. Ceux qui, sans aller plus avant, ont ouï parler d'un bou- langer de Nîmes, lequel fait des vers après avoir fait des petits pains, se sont imaginé, peut-être, que ce rimeur étrange n'est qu'une sorte de maître Adam, et qu'il n'y a de changé que la boutique ; ceux-là ^ ils se trompent du tout au tout. M. Reboul est boulanger, il est vrai, mais il est poète aussi, et grand poète. Ce qui fait le chantre inspiré, le vates à l'esprit divin, à la voix haute et retentissanle(2), ce qui caractérise les hommes de la famille de Corneille et de Racine, de Hugo et de Lamar- tine, celte diction abondante et riche, ces images neuves et (1) The country Churchyard. (2) Cui mens divinior atque os Magna sonaturum. HOIUT. I, SAT. IV, 44.