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                    DE L'ESPRIT DE LAFONTAINE.                             419

maintenant des vers impotents, solennels, pléthoriques, aux ar- •
ticulations engorgées, incapables de mouvement ; on dirait, que
les poètes les obtiennent par des procédés analogues à ceux des
éleveurs qui font d'un bœuf un éléphant pour la plus grande
gloire de l'agriculture.
   M. Lachambaudie est sans contredit un des meilleurs fabulistes
que nous possédions. C'est un homme d'un talent sérieux, un
vrai poète ; sous sa plume , la fable n'a plus cet aspect négligé ,
cette tournure prosaïque que les successeurs de Lafontaine ont
trop souvent confondu avec la facilité du maître. Il s'efforce d'en
hausser le ton, il l'entoure d'une sollicitude littéraire très-
louable ; comment a-t-on pu prendre pour une trompette de club
ou de banquet cette poésie toujours plus attendrie que militante,
où l'onction tient plus de place que la raillerie ! Sa morale ne
boite jamais : elle est même en général plus élevée que dans La-
fontaine , mais aussi moins précise, moins claire ; je dirai volon-
tiers de ses fables qu'elles appartiennent à l'ordre de la fraternité,
tandis que celles de Lafontaine correspondent au mot liberté. M.
Lachambaudie, en un mot, me représente bien l'homme sensible
du XVIIIe siècle. Au sortir d'une lecture de Lafontaine, et en
raison du contraste sans doute, je lui trouve même une certaine
boursouflure d'honnêteté; je m'impatiente aussi à rencontrer
dans son livre tant de ménestrels, de bardes, de troubadours,
de rêves d'or, de sylphes, d'echarpes, de lyres ; tout ce bric à
brac littéraire de la Restauration m'est antipathique.il ne vaut pas
la peine d'être épousseté, surtout par un poète comme M. La-
chambaudie.
   Les débuts de M. Mazelle (1) méritent d'être remarqués et encou-
ragés. Beaucoup de facilité, beaucoup de clarté, voilà son lot;
qu'il y joigne de l'élégance et de la correction et un peu plus d'o-
riginalité dans le choix des sujets et nous pourrons compter un
bon fabuliste de plus. Le tissu de ses fables gagnerait à être
resserré et'débarrassé des négligences par trop crues qui le dépa-
rent gratuitement; je n'en veux signaler aucune parce que ce serait

  (t) Fables d'Eugène Mazelle, un vol. in-12 ; Lyon, Louis Perrin, I S 5 J .