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                   DÉ L'ESPRIT DE LAFONTAINE.                    409
taine, plus qu'un autre, dut vite le trouver insuffisant et pas
assez malléable. Aussi, après avoir pris, dans le commerce de
Malherbe, le goût, la retenue, toutes les qualités essentielles
aux âges classiques, il s'abandonna débonnairement à son na-
turel; il se mit à cheminer, la bride sur'le cou, à sa guise, et,
volontiers, en écrivant ses fables, prenant le chemin le plus long,
comme quand il allait à l'Académie.
   Nous n'avons pas à nous occuper ici des habitudes, du carac-
tère, du tempérament, de la vie de Lafontaine, et pourtant, quel
accord merveilleux entre le fabuliste et ses fables, entre la per-
sonne et ses œuvres ! On se représente, malgré soi, le bonhomme
si négligé de toilette et de conduite, comme dépaysé, dans ce
grand siècle, si' compassé, si rangé, où le décorum était une
vertu. Il y avait en lui du bohème,- comme on dirait aujourd'hui :
en somme, il ne fut pas, à ce qu'il parait, prisé de son temps à sa
juste valeur. Molière seul, c'est une justice à lui rendre, comprit
bien la parenté spirituelle qui existait entre le poète comique et
le poète fabuliste. « Nos beaux esprits ont beau se trémousser,
disait-il, ils n'effaceront pas le grand homme. » On sait que
Boileau ne l'a pas même cité, dans son Art poétique. Lors de
sa nomination à l'Académie , Louis XIV hésitait à donner son
agrément ; et, après plusieurs retards, quand il s'y fut décidé :
M. Lafontaine a promis d'être sage, dit-il; défait, il ne l'était guè-
 res. Singulière et vraiment ondoyante nature, pour parler comme
Montaigne ! Drôle d'homme qui raffolait de Marot comme de
Platon, du prophète Baruch comme de Voiture, et qui demandait
un jour, le plus sérieusement du monde, à un évêque s'il pen-
sait que saint Augustin eût autant d'esprit que Rabelais. D'une
insouciance proverbiale, paresseux comme un écolier, intrépide
dormeur, il passait une journée à observer un nid de fourmis,
et disait gaîment, en allant à la promenade : « Je vais voir tuer
des Augustins. » Ceux-ci soutenaient, en ce moment, un siège
en règle contre les archers du Parlement. Labruyère le trouvait
 stupide et grossier, Louis Racine fort ennuyeux, et Madame de
la Sablière, son ange gardien pendant vingt ans, le rangeait sans
 façon au nombre de ses animaux, entre son chien et son chat.