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DANS LES JARDINS FARNÈSE. 237
qu'on me signale déjà comme un partisan de la fièvre et de la
malaria. Eh! Messieurs, dans l'antiquité, les campagnes du
Latium étaient parfaitement cultivées et peuplées d'une multi-
tude de villes, ce qui n'empêchait pas Rome de posséder trois
temples dédiés à la fièvre (1). Laissez donc la vieille cité de
Romulus, comme une oasis artistique, au milieu de notre Eu-
rope industrielle et dépoétisée. Sa manière d'être sera son in-
dustrie à elle, et attirera ces étrangers qui, blasés par le spec-
tacle ennuyeux des machines à vapeur, des blouses et des jour-
naux, se transporteront dans un monde à part, en y laissant
leur argent. Mais quand Rome sera découronnée de son auréole
des arts et de la religion ; quand, au nom du progrès, le pape
aura été expulsé, que lui restera-t-il ? le citoyen Mazzini, beau-
coup plus positif et matérialiste que le tribun enthousiaste du
XIVe siècle, Colas de Rienzi, grand poète et bien mauvais homme
d'état (2). Dans moins de cent ans, le progrès, aidé des chemins
de fer, aura probablement passé un badigeon de même teinte
sur toute l'Europe, et je crois qu'il sera fort ennuyeux de vivre
à cette époque d'uniformité. Si Rome peut échapper à ce niveau
prosaïque, et garder son caractère original, ce sera sa gloire et
sa richesse.
D'après ce que je viens de raconter sur mes goûts, on com-
prendra que je préférais le Forum et ses annexes à la prome-
(i) Febrem autem, ad minus nocendum (Romani), templis colebant, quorum
adhuc unum in Palatio, alterum iu area Marianorum monumentoram, teitium
in summa parte vici longi extat. (Val. max. 1. ir. cap. v, n° 6).
{2) Notre histoire contemporaine a tristement confirmé cette vérité, que
les poètes et les hommes d'imagination sont de très-mauvais politiques. L'état
d'anarchie, dans lequel Rome se trouvait, pendant le séjour des papes à Avi-
gnon, justifiait presque l'entreprise de Rienzi. Les poètes français de 1848
n'ont pas la même excuse. Espérons cependant qu'ils seront moins malheureux
que le pauvre Rienzi. Celui-ci, après une suite de comédies et de fêtes lyri-
ques, qui commencèrent aux pieds des lions égyptiens du Capitole , par la
lecture d'une constitution poétique, termina dans le même lieu sa carrière,
au milieu d'une affreuse tragédie. Il y fut éventré par ce même peuple, dont
il avait été l'idole, et sa tête fut ensuite exposée sur l'étal crun boucher.