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352 LES CONFESSIONS DE M me ARTHUS nent tout l'être en éveil. Aux heures de calme, on vit sur les souvenirs d'hier, on évoque l'absent, on pousse l'illusion jusqu'à l'interroger avant de prendre une décision, on n'ose déranger un meuble ou un objet sans se demander s'il approuverait le changement. Il est des femmes, je le sais, qui, fermant la porte sur le passé, vivent de leurs sou- venirs. J'ai réussi à le faire pendant un temps, mais vous avez déjà compris que je ne suis point, hélas ! de ces vail- lantes. » * ** Je le comprenais d'autant mieux que j'avais connu le feu mari de Mme Arthus et que je pouvais ajouter tout bas ce qu'elle, dans sa dignité de veuve, ne pouvait exprimer devant moi. Je crois l'avoir, en commençant, qualifié d'excellent homme ; je n'ai pas à retirer le mot. Mais, d'une nature terre à terre que l'éducation n'avait pas relevée, il avait — comme il ne craignait pas de le dire quelquefois — épousé la fille de son patron « pour avoir le fonds ». Ce qu'il appréciait surtout en elle, une fois marié, c'était de posséder un excellent commis, sûr et bon vendeur, et de pouvoir conduire, le dimanche, à la musique, une femme dont l'élégance et la distinction soulevaient une admiration de bon aloi. Ces deux êtres avaient vécu quatre années côte à côte, mais ils ne s'étaient point fondus l'un dans l'autre, ainsi qu'en témoignaient de reste les confidences entendues cet après-midi. Dans ce cas, malheureusement trop fréquent, une veuve peut se reprendre à peu près toute entière, puisque son mari n'a pas su s'assimiler ce qu'il y avait de meilleur en elle.