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JEAN BONNASSIEUX 459 s'y excuse de manier un autre instrument que Tébauchoir, sous prétexte que « le droit de parler ne donne pas le talent de bien dire. » Cette excellente étude n'a pas besoin de l'indulgence que l'artiste réclame pour son inhabileté littéraire. Il est bien entendu d'ailleurs que Bonnassieux n'a pas la moindre prétention à ce qu'on est convenu de nommer le beau style. Il écrit tout droit son idée, sans y chercher façon; mais l'expression juste, souvent pitto- resque, vient naturellement sous sa plume. Bonnassieux, dans cette étude, a raconté gaiement ses souvenirs de l'École des Beaux-Arts de Lyon, les bonnes heures de travail suivies de folles soirées, où l'on allait rire aux Célestins des grimaces du bon vieux Célicourt. La vie de Rome, les longues séances dans les musées, les croquis de paysans pris au jour le jour sur les marchés, les joyeux soupers à la trattoria Leppre, où l'on réformait après boire un monde évidemment trop vieux, les excur- sions d'automne par monts et par vaux avec Pillard, Giro- don et le brave Ménier, la mésaventure comique de ce pauvre Dumas qui, peignant la rencontre de l'ange et d'Agar, a mis les ailes de l'ange à l'envers, et les retourne en pestant contre sa maladresse, tout est rendu avec verve et vérité. Bonnassieux atteint même une fois à la grandeur. Michel Dumas, alors à Paris, avait entrepris de peindre un Christ en croix, sujet difficile, presque impossible. Ingres, dans une première visite, avait laissé deviner quelques réserves, tout en donnant courage à l'artiste. Dumas fait un effort immense; le maître revient quelque temps après : « Ingres se retourne, lui dit que son tableau est beau, « superbe, et, suivant son habitude quand il ne trouve pas « le mot sur-le-champ, c'est dans le geste, un geste enthou- « siaste et puissant, qu'il achève sa pensée en embrassant « Dumas. »