page suivante »
350 LES CONFESSIONS DE M me ARTHUS * ** A ce moment, la servante vient chercher les enfants pour le goûter. Mme Arthus se lève et m'invite à faire le tour du jardin. L'endroit, peu grand et joliment arrangé, est à l'image de la maîtresse de maison. Au milieu des allées qu'un chaud soleil d'automne marbre de pourpre et d'or, à travers les rosiers tardifs qu'agite comme un frisson de renouveau, Mme Arthus, trottant légère et menue, ressemble à une fillette qui fait, en l'absence de sa mère, les honneurs de la résidence. Tout en marchant devant moi, elle broie fiévreusement des poignées de feuilles qu'elle saisit au passage. Après un silence, sans se retourner et en élevant le ton par degré : « Vous ne savez pas â quoi je pensais, quand vous êtes arrivé ? C'est que les hommes, en faisant de la femme une mineure, ont eu raison : une femme n'est vraiment heu- reuse qu'en tutelle. Ainsi, le christianisme avait créé pour les veuves une sorte de sacerdoce qui leur donnait rang dans l'Église et les assurait d'une protection permanente; l'an- cien droit civil, ai-je lu, maintenait en partie ce patronage. Mais la société moderne, par une dérogation que je ne m'explique pas, cesse de voir une femme dans la veuve et la jette désarmée à tous les hasards de la vie. « Quand la mort du mari surprend une femme dans sa maturité, lorsqu'elle reste avec de grands enfants, un fils surtout, le fardeau du veuvage est moins lourd à porter. Mais seule à vingt-cinq ans, comme je l'ai été ! Ni père, ni mère auprès de soi, pas un frère, pas un parent ! Seule à défendre sa fortune et aussi sa personne ! Ne pas même pouvoir se reposer sur des amis !