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802 touchant spectacle de la pauvreté forte, résignée et labo- rieuse., que d'aligner avec plus ou moins de symétrie et d'art quelques vaines stances qui serviront au délassement des curieux et des oisifs? Est-il impossible, après cela, de m e - ner de front ces deux belles choses, la poésie et le travail, l'une pour les besoins du corps, l'autre pour ceux de l'ame? Non, si précieux que soient à nos yeux les dons de l'intelli- gence, ils n'ont de valeur qu'autant que l'on en fait un usage raisonnable, et qu'on les soumet à d'autres lois plus impé- rieuses. Ce que nous disons ici, nous pouvons l'appliquer à Hégésippe Moreau, qui ne méritait pas d'éveiller de si grands accès de sensiblerie, non point qu'un pauvre jeune homme, couché sur un grabat, à l'hôpital^ ne soit bien digne de com- misération et ne nous louche, mais enfin, correcteur d'impri- merie à Paris, Hégésippe avait largement de quoi suivre sa route, s'il n'y eut eu chez lui plus que de l'imprévoyance et de l'incurie, on le sait. Quant au talent même du poète, il est remarquable, nous l'avons dit, et il tient à celui de Beranger par la nature et par le fond des idées, comme par une allure d'une exquise pureté. On retrouve, dans le Myosotis, avec leur date presque, le libéralisme du grand chansonnier, sa tristesse frondeuse, son rire malin et jusqu'à ses couplets contre le ciel (1). Ce culte pour Beranger, ce culte qui est si sensible dans le volume d'Hégésippe Moreau, ne s'est pas arrêté à une sté- rile admiration, mais le disciple s'est inspiré des qualités du maître et en a su reproduire l'harmonieuse pureté^ la fine délicatesse, la sage sobriété. Seulement, il y a dans le vers d'Hégésippe cette marche brisée et rompue qui le rapproche davantage de l'école toute moderne, mais qui nuit rarement à la perfection du langage. Le Myosotis, remarquable d'ailleurs par des pièces d'une facture sévère et forte., l'est bien plus dans les morceaux (1) Voir la pièce intitulée : Noces de Cana, pag. 255.