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chien, nous tient réellement en pitié : il gambade pour nous montrer la
route, il nous indique le gibier et nous le rapporte, il aboie pour nous signa-
ler le danger, nous sachant bien incapables de tant d'opérations essentielles.
Est-ce à dire que toutes nos qualités ancestrales soient définitivement atro-
phiées ? et que l'instinct nous fasse entièrement défaut ? Non pas : mais
notre égoïsme farouche nous interdit un développement quelconque de nos
dons naturels lorsque notre intérêt ou notre sécurité ne sont pas immédiate-
ment en jeu. Et la preuve, précisément, pour l'objet qui doit nous occuper,
c'est que le cultivateur a des connaissances réelles en météorologie, connais-
sances certaines, mais trop locales ; c'est que le vieux marin de la navigation
à la voile n'avait pas besoin de conseils pour voir le grain. Et Duclaux nous
raconte comment, poussé par la nécessité, son collègue de Tastes, profes-
seur de physique au Lycée de Tours, était devenu un excellent météorolo-
giste : « M. de Tastes était impotent : une opération chirurgicale mal faite
lui avait enlevé l'usage de ses jambes, et sa seule récréation était le canotage
à la voile ou à la rame sur la Loire et ses affluents. Dans sa position, le moin-
dre accident pouvait devenir fatal. Cette perspective l'avait rendu, comme
on pense, très attentif aux choses de l'atmosphère, et comme il avait en
outre un sens physique très aiguisé, il était devenu naturellement et sans
effort un excellent météorologiste, un météorologiste de plein vent, non un
météorologiste de serre chaude, etc. » \
     Il semble donc bien que l'on puisse prévoir le temps à l'avance. Oui,
mais voilà : point de codification d'une série de recettes personnelles, cha-
cun « se débrouille » avec des procédés particuliers, trouvant toujours
d'excellentes raisons s'il arrive malheur à son voisin 2 . Sitôt acquise, l'expé-
rience individuelle est perdue : il ne se manifeste aucun sens élevé de la
coopération et, partant, point de progrès. L'homme agit comme un physi-
cien qui ne voudrait pas d'autres appareils que ceux d'un cabinet de physi-
que du XVIIe siècle : quelle richesse d'expérimentation n'en pourrait-on pas
attendre ! Sa philosophie, sa raison branlante, sont devenues d'intangibles
dogmes et il entend encore soigner et guérir, avec de vieilles panacées, des


   i. E. Duclaux, Cours de Physique et de Météorologie (Préface). Paris, gr. in-8°, 1891.
   2. La Rochefoucauld l'a dit avant moi !