Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                                   — i$5 —
  Divine Comédie, on les retrouve chez Brunetto Latini et chez Cavalcanti,
  mais généralement sous forme de simple agrégat mécanique. Dante seul
  a transformé cette matière en vivante unité organique.
        De tout ceci, il résulte qu'il importe peu que le contenu soit histo-
 rique ou inventé, mais il importe beaucoup qu'il soit réel. Et le réel, en
 art, ce n'est pas forcément ce qui arrive, ce n'est ni la nature, ni l'histoire,
 mais c'est leur reflet dans le sentiment.
       Une œuvre d'art peut donc aisément se passer de certaines qualités
 qui lui sont extrinsèques.
       C'est pourquoi, par exemple, la question de l'imitation n'est pas
 l'une des données essentielles du problème esthétique.
       Les faits matériels, qu'on les trouve dans la nature ou dans les livres,
 ne sont que la matière brute à la disposition de tout le monde. N'importe
 qui peut emprunter. Seul, le poète, en empruntant, fait un chef-d'œuvre.
 Sa grandeur ne réside pas dans les matériaux qu'il emploie, mais dans
leur fusion organique, qui en fait une réalité vivante.
       Ce qui le prouve, c'est que la fidélité historique est un élément étran-
ger à l'art. Quand on dit : les jeunes gens ne doivent pas chercher des
leçons d'histoire dans le Roland furieux, on a cent fois raison. Mais on
aurait tort d'en conclure que le Roland furieux est un mauvais poème.
       De même pour la vraisemblance. Certes, l'on peut dire que les choses
ne se passent pas dans le monde comme le poète nous les a montrées.
En fait, c'est confondre l'art avec la réalité, et en vouloir faire une copie.
       Quant à la moralité, en tant que fin à l'œuvre d'art, elle ne lui est pas
davantage nécessaire. Au fond, elle n'est pas la conséquence, mais l'an-
técédent de l'art. Elle est présupposée.
       L'effet esthétique n'est possible en nous que si no'us sommes déjà
des êtres moraux. Phèdre souffre parce qu'elle a un sens moral. Elle
nous apitoie parce que nous avons un sens moral.
      La moralité est, par elle-même, une chose excellente, mais étrangère
à la littérature qui possède en soi sa fin et sa valeur.
      Ainsi, que le contenu soit imité ou non, historique ou inventé,
vraisemblable ou invraisemblable, moral, immoral, amoral, cela n'a au-
cune importance en ce qui concerne la beauté plastique de l'œuvre.