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— 203 — du monde poétique contenu dans l'œuvre, à la condition : i° d'accueillir naïvement ses impressions ; 2° de les analyser soigneusement. Pour De Sanctis, l'impression est chose essentielle. Mais il faut qu'elle soit vraie. Pour se rendre compte de sa véracité on doit l'analyser, c'est-à -dire la mesurer, la préciser, donner avec des détails clairs et exacts ses qualités substantielles et distinctives. Le critique ayant contemplé, senti, réfléchi, De Sanctis exige qu'il recrée l'œuvre du Poète. Le Poète, en effet, prétend-il, ne jette pas sur le papier sa vision entière. Il est un écho qui, d'un mot, ne répète que quel- ques syllabes, mais c'est un écho animé qui voit et sent plus qu'il ne dit. Le critique, des quelques syllabes dites par le poète, doit recomposer le mot en entier. Il place les gradations, les passages, les idées intermédiai- res et accessoires. Il trouve les sentiments, la pensée, l'image qui produi- sent tel effet. Il va au delà du voile corporel que nous donne le poète. Semblable à l'acteur, il ne représente pas simplement le monde poé- tique, mais il l'intègre, il en remplit les lacunes. Le drame donne la parole ; il ne donne pas le geste. C'est là , c'est dans ce travail de recréation que le critique a besoin d'une sorte de génie, car pour recréer l'œuvre et ne pas se contenter d'une froide exposition, il doit saisir la conception poétique dans ses moments essentiels et avoir son propre moment d'inspiration artistique. L'œuvre, alors, se dépouille de son écorce accidentelle. Il en reste l'âme, ce par quoi elle est elle-même et non pas une autre. Mais pour la découvrir ainsi il faut que le critique soit doué d'une sorte de faculté de seconde vue, ac- cordée à peu de gens et sans laquelle, en dépit de toute sa science, il ne sera jamais qu'un pédant. Pareil au poète, le critique peut bien se préparer à son rôle, préparation dont on retrouve la trace dans les observations, les distinctions, les parallè- les ; mais cette sûreté de coup d'œil, qui sait dans une poésie saisir la partie substantielle et vivante, il ne la trouvera que dans la chaleur d'une im- pression franche et immédiate qui relève en quelque sorte de l'inspiration et du génie et qui est le sens du réel, du vivant. Car ce qui importe, c'est de montrer de quelle façon les matériaux ont été travaillés par le poète,