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transformés par l'art, si, dans les mains de l'auteur, ils sont restés un sim-
ple agrégat ou sont devenus un monde vivant. Ainsi donc, la question
critique fondamentale sera : Etant donné telle époque, telles doctrines, telles
passions, de quelle façon cette matière a-t-elle été travaillée par le poète,
comment a-t-il pu transformer cette réalité en poésie ?
       « Nous avons là, dit De Sanctis, un critérium critique sans appel,
définitif. Quand la critique arrive à cette hauteur, elle est l'art lui-même
qui se transforme et se fait création réfléchie ; c'est le génie qui se fait
goût, c'est le poète qui se regarde dans un miroir, qui se juge, qui est son
propre critique....
       « Le critique est, en face de l'artiste, ce que l'artiste est en face de la
 nature. De même que l'artiste reproduit la nature, mais avec d'autres
 moyens et un autre but, de même le critique reproduit l'art, mais avec
 ses processus et ses propres fins et, ce qui importe davantage, avec cette
 pleine conscience de l'art qui manque souvent à l'artiste. L'Arioste a
 créé un monde qui a en soi son but, ses lois, ses formes. Il est vivant,
 original, vrai. Ce monde, le critique doit le comprendre et le goûter, en
 avoir l'intelligence et le sentiment. Il doit avoir la force de tuer le monde
 réel dans lequel il se trouve et recréer, avec l'aide de l'intelligence et du
 sentiment, ce monde que le Poète a créé avec sa fantaisie. Alors il en saisit :
 la conception, le but, les lois, les formes... La critique est la conscience
 ou l'œil de la poésie, mais l'œil qui voit les objets sans se voir lui-même.
 Elle est l'œuvre spontanée du génie reproduite par le goût comme œuvre
  réfléchie. Elle ne doit pas dissoudre l'univers poétique, mais nous mon-
 trer la même unité devenue raison, conscience d'elle-même. La critique
  n'est ni pensée absolue, ni art absolu. Elle tient de l'un et de l'autre.
  C'est la même conception poétique regardée d'un autre point. Dieu crée
 l'Univers, le philosophe est le critique de Dieu. La vraie philosophie,
 c'est la création repensée ou réfléchie. La vraie critique, c'est la création
 poétique qui se replie sur elle-même ».

    Nous ne discuterons pas les théories de Francesco De Sanctis. La
chose a été faite et, en particulier, d'une façon éminente par M. Benedetto
Croce qui, d'ailleurs, sauf sur quelques questions de détail, y a rattaché