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— 72 — deliers et la colline ouvrière lui apparaissait alors comme la forteresse du labeur et de la souffrance. Il songeait à la tournée qu'il avait faite avec Arlès- Dufour et à l'atelier lépreux du pauvre tisseur emprisonné à Perrache ; il évoquait sa femme «errant sans pain », avec ses huit enfants « comme une lionne », il se rappelait le métier où le plus petit, âgé de cinq ans, travaillait debout. D'autre part, aigri par les polémiques religieuses, piqué par les insultes des Jésuites, gardant dans sa mémoire les accusations du Monopole Universitaire et du Catéchisme de Collombet, il ne voyait à Fourvières que la tyrannie des ordres puissants, la servitude des couvents, « les longs murs froids », les tristes « robes noires » ; il se souvenait de cette promenade d'août 1843, quand il y monta « dans l'orage », à travers « l'idolâtrie qui bordait le chemin ». Et comme son apprenti du Banquet, sollicité par le double appel des montagnes rivales, — il se détournait de Fourvières et gravissait la « rude montée de la Grande Côte » : « Ah ! ceci me décide. Je vois, ô vieille mère, que votre jeune sœur est désormais l'église des souf- frances, l'église du combat. C'est elle qui jeûne, qui se dévoue, qui espère ; elle qui vit de l'esprit, de la fraternité future. J'irai à elle, j'irai travailler et souffrir. Là où est la foi, l'amour, là est le vrai banquet ! »1. C'est ainsi que se termine ce chapitre du Banquet mystique que les Lyon- nais ne connaissent peut-être pas assez. Grâce à Michelet, la littérature française s'est enrichie d'une grande et dramatique image de Lyon. Son symbolisme peut déplaire à certains, mais sa beauté s'impose à tous. Moins serein, certes, que la Prière sur l'Acropole, l'hymne aux deux Collines s'élè- ve à la même hauteur par l'élan de l'inspiration, l'éclat et l'harmonie du style1. On sait maintenant comment cette image a pu éclore et s'épanouir dans l'esprit de Michelet. Pendant des années, il n'a vu de Lyon que la cité harmonieuse, aux nobles ordonnances monumentales, « unissant les peu- ples et les fleuves ». C'était le tableau que devait s'en faire l'historien, con- templant le passé, avec le recul des siècles. Mais un jour, vers le milieu de sa vie, il est entré dans la mêlée. Lui-même était en pleine tourmente, 2. Le Banquet, p. 168. 1. On sait que le Banquet était resté inachevé et que M°" Michelet en a complété certaines parties, en se servant des notes et du journal. Mais le chapitre sur Lyon est entièrement de la main de Michelet.