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                       LE PAS DE LA MULE.                         65

 ce nom n'était pas le sien, je ne me permettrais pas de le lui
donner. Nous avions pris le chemin d'Ecotay et nous gravis-
sions s pied la colline,
   — La montée est rapide, la chaleur excessive ; asseyons-nous
sur ce rocher. A propos de rocher, Arthur, ne vois-tu rien sur
celui-ci ?
   — J'y vois des lichens et un creux rempli d'eau.
   — Et ce creux, comme tu dis, n'a-t-il pas la forme d'un
sabot de cheval ?
   — Pas le moins du monde.
   — il le faut cependant, l'histoire le veut.
   — Quelle histoire?
   — Eh parbleu ! celle que je vais te raconter.
   — Raconte et dépêche-loi, dit Arthur, et il murmura à part
lui deux vers d'Horace dont voici la traduction : Je baisse les
oreilles comme une bourrique rétive, quand son fardeau est trop
pesant.
   Ce lieu, commençai-je, s'appelle le Pas de la Mule, et voici
pourquoi :             v     '
   C'était la veille de la fête de saint Luc: «a brave laboureur ou
un brave marchand, selon d'autres, descendait de la montagne et
venait au grand marché de Montbrison. Cette année-là, suivant
le proverbe : à la saint Lu, l'hivar est au Su (sur la montagne),
l'hiver ne s'était pas fait attendre ; la neige couvrait la terre.
Notre marchand cheminait tranquillement assis sur sa bonne
mule nouvellement ferrée (remarquez bien ce point), et sans trop
prendre souci du chemin que la neige l'empêchait de reconnaître.
   Quand la nuit survint, il commença à craindre de s'égarer,
mais sa mule avait le pas sûr ; il lui lâcha la bride sur le cou, et,
se fiant à elle, il se prit à sommeiller, penché à demi sur la selle,
au bruit sourd que produisait sur le tapis de neige le pas mesuré
de sa monture. Chaudement abrité par son grand manteau çl,e
peau de mouton, par son large chapeau rabattu sur les oreilles,
il songe aux marchés qu'il va faire, à l'argent qu'il va gagner, à
la joie de sa femme et de ses enfants à la vue des cadeaux qu'il
leur apportera. Sa fille Jeanne est prête à marier : s'il lui ache-