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                      MADEMOISELLE DE VIRIEU.                      35

 avant trouve l'occasion de lui rendre quelques services, elle
 ne les dénonça pas. Ces dames vivaient de pain noir ; Mm0 de
 Virieu et sa femme de chambre cousaient de grosses chemises
 pour se procurer un peu plus d'aisance. Mlle Stéphanie dessi-
nait déjà avec une merveilleuse facilité, et se servait d'une
 encre boueuse de chapelier et d'une mauvaise plume, non-
 seulement pour écrire mais pour dessiner de petites composi-
tions avec ces grossiers instruments.
   Mlle de Virieu dit (1) que les paysans de Saiut-Germain-Laval
avaient un grand, fond de respect pour la religion. On avait
depuis longtemps donné l'ordre d'abattre les croix. 11 en était
resté une à Saint-Germain qui dut enfin avoir le sort des autres.
Un soir, vers la chute du jour, M,Ie Stéphanie et sa sœur virent
de loin l'homme chargé de cette pénible exécution se mettre à
genoux sur les dalles de pierre, y prier quelque temps, comme
pour demander pardon à Dieu de ce qu'il allait faire. Ensuite il
renversa la croix et fit tomber la tige avec précaution pour
qu'elle ne se brisât pas : il souleva avec un levier les dalles
qui formaient la base et le piédestal, en fit un tas dans le
carrefour, et appuya la croix contre cet amas de pierres. Puis
il pria de nouveau avec ferveur et se retira.
   Toute jeune qu'elle était encore, MUe de Virieu fut très-
touchée de cette scène singulière, qui caractérisait bien le
peuple de ces campagnes, avec cette piété timide et cette
obéissance inerte aux prescriptions de l'autorité civile.
   Elle en fit d'abord un dessin où se révélaient ses dispositions
naissantes. Plus tard, elle composa sur ce sujet un vrai petit
poëme, quand un peu d'art vint perfectionner le merveilleux
talent qu'elle avait reçu de la nature. Elle donna alors à ce bon
paysan, à cet étrange abatteur de croix une admirable expres-
sion.
   Mme de Virieu avait sur elle, à cette époque, un rouleau de
louis d'or; mais ces louis étaient à l'effigie royale. Elle aurait été
dénoncée et trahie si elle avait montré ces pièces suspectes.

  (1) Voir le journal de sa vie commencé par elle.