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UNE NOCE. 231 temps d'arriver avant nous. Bellement est le fermier des Or- mages, et il avait l'intention d'établir sa petite noce dans la grange ; mais les granges sont pleines et Louise a pensé... — La petite noce ! interrompit Frédéric ; mais j'ai vu au moins quatre-vingts personnes. — Tu te trompes, mon ami, ils sont cent vingt-deux : pour des cultivateurs, c'est une noce de parents et d'amis, une de ces noces médiocres qui exigent seulement qu'on tue un bœuf, un veau et deux ou trois moutons. Je te disais donc qu'ils étaient embarrassés, les granges étant pleines, lorsque Louise a eu l'idée de leur donner tout le rez-de-chaussée des Ormages, qui depuis vingt ans ne sert plus qu'à serrer les récoltes, puisque nous sommes définitivement fixés aux Grandières ; le bal se fera dans l'ancienne orangerie, car ma fille, qui a tout décidé, n'a pas voulu qu'on dansât au café, comme cela se fait d'habitude ici. Aussi, en arrivant, trouverons-nous nos gens ayant déjà dégourdi leurs jambes par un ou deux quadrilles. — Au sortir de la messe ? dit Frédéric en souriant. — Eh t oui, mon cher ami, nous autres paysans du Ma- çonnais, nous préférons perdre notre raison dans le gai tour- billon d'une fêle que de la laisser s'abrutir dans le plat alour- dissement qu'amènent les longs repas en usage dans le Berry et dans presque toutes les provinces centrales. On dansera jusqu'à deux heures; on mangera jusqu'à cinq heures à peine; puis on laissera les vieux à table et on retournera danser jusqu'à minuit. Sans danse, pas de belle noce ; pas de saint qui ne soit fêlé par un beau bal, à Léontaud et dans les communes voisines, à Pont-de-Vaux, à Targe, à Sainte-Ca- therine, aux Villars, à Uchizy, surtout, la ville sarrasine. Et j'y songe, si l'histoire et les traditions ne mentent pas, cette passion pour la danse nous vient peut-être de la race orien- tale qui s'est entée dans nos contrées sur le vieux tronc