page suivante »
CHRONIQUE LOCALE.
La politique n'était qu'à la surface ; au fond, la population avait bien
d'autres sujets de se préoccuper. Ecoutez, au nord : « Grèges, trames,
organsins ; » au midi : « Houille, coke, fer, cuivre, zinc; » au centre :
« On ne vend pas, où donc est l'argent ? » Chœur général : « Partons
pour les champs, le soleil est dans tout son éclat, la verdure dans toute sa
fraîcheur, la campagne dans toutes ses magnificences; les oiseaux ont
quitté leurs nids et les bois sont pleins de nouveaux chanteurs. » Et
l'on s'enfuit par toutes les voies que le génie de l'homme a su mettre à la
disposition des aventuriers ; les Parisiens prennent six cents voyageurs et
les entreposent à Neuville ou à Fontaines ; la Ville-d'Annonay se couvre
de hardis navigateurs et les jette à Pierre-Bénite ; les omnibus sont au grand
complet, les chemins de fer n'ont pas assez de billets, on attend une nou-
velle fourniture de wagons, et il est question d'ouvrir des voies nouvelles
entre Lyon et tous les points de l'horizon. Il ne reste plus en ville que les
gens de la campagne qui viennent voir si la rue de l'Impératrice a ter-
miné son pavé plat et Saint-Bonavcnture sa façade, examiner si les maga-
sins donnent à 50 °/° au-dessous du cours, et si les baraques de la foire
sont mieux sur le quai de Retz qu'Ã Bellecour, entendre la musique des
régiments dans les quatre ou cinq quartiers où on en offre, et le soir applau-
dir Mlle Scriwaneck comme si nous n'avions pas M mc Lamy.
Au milieu de ce concert de voix bénissant la locomotion et les locomo-
tives, une fausse note se fait entendre. C'est la Province qui, montée sur
son petit dada, trotte à travers les précipices, demandant d'une voix inces-
sante ce que diable pourrait bien être l'économie sociale dont elle a entendu
parier, mais qu'elle ne sait pas définir^. La Province ne s'occupe ni de Metz
ni de Bordeaux, ni de Marseille ni de Cherbourg ; de Lyon encore moins :
« Lyon ? plaisantez-vous ? sa littérature, ses mœurs ou son histoire, sa
splendeur, son commerce, ses souffrances, son avenir, ah bien oui ! ce n'est
pas notre affaire. Demandez à côté... Eurêka ! — Quoi? — Je l'ai trouvée ?
— Qui ? — Ma définition. Au lieu d'une j'en ai cinq. L'économie sociale
est la science de la charité chrétienne s'élevant des rapports individuels au
gouvernement des sociétés — Diable ! Monsieur ! — Ce n'est pas votre
avis ? Préférez-vous ceci ? C'est la_ science de l'Economie des sociétés
humaines. — Vous croyez, Monsieur? — Certainement, à moins que ce
ne soit : la Philosophie de l'ensemble des sciences sociales, ou, suivant
M. Headstone, la science de tous les éléments qui concourent à la forma-
tion cl à l'existence matérielle et morale des sociétés, ou mieux, suivant un
maître d'école très-profond, mais peu connu : la Science qui étudie, soit
isolément, soit dans leur ensemble, les éléments constitutifs des sociétés
humaines considérés dans leurs rapports immédiats avec l'essence, l'orga-
nisation et le régime de ces mêmes sociétés. Ces formules sont si claires, si
nettes et si précises qu'on ne comprend pas qu'elles nous aient échappé
jusqu'ici, Cinq définitions pour une seule et même chose, cinq explications
lorsque nous n'en voulions qu'une, ce n'est qu'Ã nous qu'arrivent ces bon-
heurs ! « L'économie sociale est la science de la charité chrétienne s'éle-
vant des rapports individuels au gouvernement des sociétés ! » Colomb
n'a trouvé que l'Amérique, nous avons défini l'économie sociale, et main-
tenant que les limites de cette science sont si nettement tracées, tout le
monde pourra se promener en dedans ou en dehors, à volonté, sans crainte
de méprise, sans être exposé à entendre la voix sévère de la loi vous crier :
« Monsieur, vous mettez les pieds dans les plates-bandes interdites aux
journaux littéraires. » C'est un grand service que nous venons de rendre
à l'humanité. '
Oh ! oui ! c'est une belle chose que la science, l'économie sociale sur-
tout, et je ne me lasse pas de le répéter quand j'entends les cailles vertes
rappeler dans les blés, ou que je vois les chaudes vapeurs de la terre con-
fondre leurs teintes bleues avec les flammes que le soleil du soir jette Ã
travers les grandes masses vertes de la forêt.
Et cependant sans être savant, si savant surtout, on peut vivre, on peut
même jouir de la création des hommes de talent, priser à leur valeur les