page suivante »
144 UNE NOCE. fille, dont le sérieux charmant lui avait semblé devoir faire l'orgueil de son futur salon, cette spirituelle Louise qui, mal- gré sa calme dignité, savait au besoin railler un ridicule par une piquante épigramme ou le représenter au vif avec la pointe de son crayon, se transformait en une sorte de villa- geoise éprise de toutes les vulgarités champêtres. La fermeté, dont sa cousine avait fait preuve la veille, l'inquiétait aussi un peu; enfin sa vanité ne pouvait lui pardonner de descendre a une familiarité aussi grande aven des paysans. Pendant que Frédéric s'habillait en se livrant à ces ré- flexions, les cours intérieures des Grandières, sur lesquelles donnaient les fenêtres de sa chambre, retentissaient de ce bruit matinal qui se fait autour des bâtiments d'exploitation de toutes les maisons de campagne un peu considérables: les bestiaux sortaient de l'étable et humaient en mugissant l'air matinal embaumé des senteurs pénétrantes de l'automne, les chevaux hennissaient impatients et battaient du pied le sol des écuries, les chiens aboyaient aux jambes des moutons que réunissait un petit berger, enfln la basse-cour entière jasait au soleil. Mais le chant des coqs et le gloussement joyeux des poules picorant sur l'aire battue, cessèrent tout à coup pour faire place à un tumulte étrange, à un mouvement général. Le pi- geonnier entier frit son vol et s'abattit à terre avec un doux bruit d'ailes après avoir plané un instant au-dessus de la cour comme un nuage blanc nuancé de gris; les paons se mirent a courir en traînant sur le sable leurs grandes queues à demi- déployées. Puis ce fut un piétinement, un bruit d'escalade et de lutte, et parfois, dominant le tout, un rire frais, élincelant de jeunesse et de grâce. Frédéric alla à sa fenêtre, ne sachant comment s'expliquer ce qu'il entendait ; à peine eut-il regardé qu'il resta charmé par le spectacle qui s'offrit à ses yeux.