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544 UNE PROMENADE EN SUISSE fontaine, piscine salutaire pour quelques-unes des misères sans nombre qui affligent l'humanité; grâce à Dieu, nous n'avons rien à demander à ces ondes bienfaisantes ; mais, pour nous consoler d'un maigre repas, nous allons, dans une étroite gorge, couronnée de sapins agitant sur nos têtes leurs faîtes ondoyants, admirer une gracieuse cascade dont le bruit, l'impétuosité et l'écume éblouissante annoncent la digne source du Reichenbach. Nous cheminions à travers le vallon que parcourent ces eaux rapides, où nous retrouvions la môme nature et les mêmes aspects, et troublant une vingtaine de chevaux errants, qui, à notre approche, bondissent et disparaissent dans un nuage de poussière dont ils couvrent irrévérencieusement nos seigneuries. La chaleur était étouffante; les sapins, assez hauts* pour borner notre vue à leur monotone rideau, ne parve- naient pas cependant à nous donner une ombre suffisante, et nous allions, silencieux, tristes, presque endormis au pas cadencé de nos montures; tout à coup, et, par un comman- dement militaire, notre guide ordonne une halle, et faisant tourner sur elles-mêmes nos bêtes récalcitrantes, nous laisse ébahis en face d'un spectacle dont il avait ménagé la sur- prise à notre admiration... Du sein d'un océan de verdure, appuyés contre le pic noir et terrible du Dossen-Homer (1) qui les domine, les immenses glaciers de Rosenlaùi, s'élèvent entourés de dix montagnes qui semblent se presser pour les dé- fendre et comme pour les enchâsser : au milieu de ces rocs gris et nus, ils s'étalent splendides et ruisselants, noyés dans des flots de lumière et d'azur ; cimes éblouissantes, sommets inaccessibles que jamais ne souillèrent les pas de l'homme ; vrai trône de diamants sur lequel seul est digne de se poser le soleil, et qu'ose à peine effleurer de son aile rapide, l'aigle quand il plane au plus haut des cieux. (1) Corne du dos.