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ET AU LAC MAJEUR. Ô45
Un long cri d'étonnement salua l'admirable tableau dont
je vous offre à grand peine comme une pâle et misérable
esquisse;... puis, reprenant notre route, nous pensions être
arrivés au terme de celte suite de merveilles qui, depuis trois
jours, se déroulait à nos yeux éblouis;... nous nous trom-
pions, la nature est encore plus féconde que l'imagination,
plus vaste que le désir... Le guide avait renvoyé nos chevaux,
et nous promenait par les sentiers les plus ardus, par des es-
caliers raides comme une échelle, sans que nous pussions
trop deviner où il nous conduisait ; un bruit sourd et loin-
tain semblait seul guider nos pas ; excités par les roulements
de ce tonnerre inconnu, nous hâtons notre marche, et bien-
tôt, parvenus à un mamelon pendant sur l'abîme et tremblant
aux coups redoublés dont l'air est au loin ébranlé, nous nous
trouvons en face du Reichenbach (1), la plus belle, la plus
émouvante de toutes ces cascades dont nous pouvions, à bon
droit, nous croire rassasiés.
Du milieu d'un massif de tilleuls dont le feuillage épais
tamise en poussière d'or les rayons du soleil couchant, s'a-
vance en frémissant, non plus un filet d'eau, mais une rivière
tout entière; sur le rocher saillant où elle se déploie en
éventail, un moment elle reste, comme suspendue, puis,
d'une hauteur de 300 pieds tombe, se brise dans un gouffre
béant et sombre que voile un nuage éblouissant; franchissant
les bords de cet abîme et rapide comme l'éclair elle s'enfuit
sous une voûte de verdure, reparaît au milieu de rochers
couverts d'arbustes, de mousse, de brillantes roses des Alpes
et d'humbles pariétaires, qu'elle inonde de perles étincelan-
tes ; se relevant deux fois, tombant pour se relever encore,
elle s'élance mugissante et furieuse entre les roches qui la
pressent de leurs flancs hérissés, se perd sous un pont jeté par
(I) Chùle riche.
3!)