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DE F0URV1ÈRES. 381 avoir fait un pèlerinage. La difficulté de la montée entrait certainement pour beaucoup dans la satisfaction intérieure du fidèle. Mais quand l'industrie s'emparera de lui , le mettra dans une boîte, et, en deux ou trois minutes, le trans- portera sur le seuil du sanctuaire , sa conscience lui dira qu'il n'y a aucune vertu dans son acte , car la vertu n'est pas autre chose qu'un effort sur soi-même , à moins cependant que le danger du voyage n'exige de sa part une certaine abnégation de la vie. Le péril de l'ascension projetée n'a rien qui doive étonner. Le développement excessif des entreprises industrielles con- duit à faire moins de cas des voyageurs que des marchan- dises. L'exemple des États-Unis, le pays modèle en fait de progrès matériel, nous apprend à quel point l'indifférence pour la vie humaine est portée , quand il est admis en prin- cipe que l'homme est créé et mis au monde uniquement pour faire des dollars. Comment envisagerait-on au-delà de l'Atlantique une somme annuelle de (rois mille morts vio- lentes , s'il y avait eu vingt mille émigrants d'Europe ? On solderait simplement le compte par un bénéfice de dix-sept mille nouveaux citoyens. On aurait fait un magnifique inven- taire , et la satisfaction du peuple américain serait complèle et sans mélange de regrets. Nous n'en sommes pas encore arrivés à cet idéal de progrès. Dieu veuille que nous restions longtemps en retard ! Mais quand on voit chaque jour tant d'esprits abêtis par le culte exclusif des intérêts matériels , quand on entend tant de gens, dont la conversation stupide roule du malin au soir sur les péripéties de la bourse, l'avenir intellectuel et moral de la France se présente sous de tristes couleurs. PAUL S T - O L I V E .