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 272                        J. AUTRAN.

  de la force qui anime chaque poète. On est écrivain dramatique
  nu conteur par mille qualités qui peuvent être indépendantes du
  don de poésie ; on n'est lyrique qu'à la condition d'être bien pro-
 fondément poète.
    Les Poèmes de la mer attestent la réunion des conditions les
 plus éminentesde lapoésie lyrique ; un esprit amoureux d'idéal,
 un style plein de mouvement et de coloris , et surtout ce don de
 l'harmonie qui semble s'être retiré de tant de poètes modernes,
 préoccupés avant tout de la couleur et du relief, des qualités vi-
 sibles pour ainsi dire. On dirait qu'une certaine école oublie que
 les vers sont enfants de la lyre et qu'elle voudrait les faire déri-
ver du pinceau. Le vers de M. Autran, si coloré qu'il soit par
 le soleil natal, reste encore plus harmonieux que pittoresque ;
c'est-à-dire qu'il se tient dans de véritables conditions de tout
ce qui est destiné à être chanté. Libre de parti pris dans la forme,
il suit sa nature, et sa nature est la mélodie. Sa langue est d'une
sonorité remarquable, il choisit d'instinct les syllabes les plus
musicales et nous reconnaîtrions ses strophes entres toutes à
leurs vibrations mélodieuses. Enfin , même lorsqu'il est fami-
lier , son style n'admet rien qui ne soit distingué et délicat ; il
n'est pas de ceux qui, prétendant éviter l'enflure reprochée au
romantisme, confondent la simplicité avec la platitude.
   Le nouveau volume de M. Autran, Laboureurs et Soldats ,
appartient à ce genre de l'épopée familière, tout à fait distinct
de l'ancien conte et de l'ancienne épître ; c'est toujours la nar-
ration appliquée à des sujets de la vie réelle ; mais avec ce souf-
fle lyrique qui l'a transformée. Ce genre si difficile, dont Les
Bretons, Primel et Nola et les divers autres petits poèmes de
Brizeux nous offrent de si exquis modèles paraît aujourd'hui
destinée à être particulièrement goûté. La poésie purement lyri-
que ne peut conserver qu'un petit nombre de fidèles. Le drame
et le roman nous débordent, et l'on exige désormais pour s'inté-
resser à la poésie qu'elle renferme un élément romanesque. Cette
prédilection se trahit chez les critiques les plus bienveillants,
qui ne louent guères la poésie pure que comme promesse d'une
peinture plus vive des scènes dramatiques.