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    320                      L'ANE

   Un fait très significatif, c'est que l'Ane de Lucien, sitôt
paru, fut traduit en latin par Apulée. C'est même l'œuvre
d'Apulée qui est le plus connue, sous le nom de Y Ane d'or,
c'est elle, en tout cas, qui a fait passer son auteur à la posté-
rité. Pour qu'une œuvre ait les honneurs de la traduction et
pour que cette traduction ait un succès pareil, il faut qu'elle
réponde aux goûts, aux aspirations du public. Aussi paraît-il
à peu près certain que ce Lucius, changé en âne, devait
singulièrement ressembler à la plupart des jeunes gens de
la société du second siècle après Jésus-Christ. Si Lucien a
choisi cette bizarre métamorphose, c'est qu'elle lui permet-
tait de railler tout à la fois les superstitions grossières et
les instincts de jouissance immodérée qui possédaient ses
contemporains. Car l'âne est paillard, chacun le sait, et
Lucius n'est jamais plus vraiment âne que lorsqu'il se sou-
vient du temps où il était homme.


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   A part l'œuvre d'Apulée, traduite du grec, il n'y a pas
d'ânes illustres dans la littérature latine. Comment Caton
aurait-il pu prêter une âme à un âne, lui qui se refusait à
croire que l'esclave en eût une? Du reste, toute la philo-
sophie latine n'est qu'une traduction juxta-linéaire de la
philosophie grecque et cela est vrai pour la psychologie de
l'âne comme pour celle de l'homme. Pour trouver des idées
neuves, des sentiments vrais et spontanés, il faut arriver à
une société plus jeune, la société du moyen âge.
   Le moyen âge, c'est le triomphe de l'âne : il est artisan,
docteur, chanoine; aucune profession ne lui est fermée et il
les remplit toutes avec une égale convenance. Qui ne con-