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390                   QUELQUES NOTES

 sortis de la bouche d'un enfant des hommes. Aucun des
 manques de goût, aucune des disparates de Victor Hugo;
 rien de son puffisme, de ses dislocations du rythme. Les
vers sont pleins, coulés d'un jet, sans enjambements
 pénibles, ou mieux sans enjambements. La connaissance
 de l'antiquité, le choix des mots, le soin de proscrire un
seul terme banal ou prosaïque sont poussés plus loin qu'on
ne l'a jamais fait. Les rimes sonnent comme le pur airain.
    Comment se fait-il que tout cela laisse absolument froid?
Il manque peu de chose : l'âme. Cela n'a pas la grâce de
Chénier, c'est vrai, mais c'est plus grand, et pourtant
quatre vers de Chénier émeuvent jusqu'au fond le plus
intime, tandis que là, il n'y a que des tableaux sans vie,
une copie froide. L'imitation de l'antiquité n'est rien, si
elle ne sert pas à exprimer un sentiment humain, person-
nel, si l'homme n'est pas dessous. Rien de plus glacé que
les imitations, par M. Leconte de Lisle, d'Horace, qui
nous émeut tant. C'est qu'Horace ressentait ce qu'il disait,
et l'autre fait de l'art. — Aussi Horace est mon contem-
porain par l'âme et c'est le contemporain qui me semble
d'un autre âge. Ceci explique- pourquoi M. Leconte de
Lisle a eu longtemps et a peut-être encore, dans l'opinion
publique, une place inférieure à son talent de poète.

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   Il y a une autre raison de la froideur qu'on éprouve en
dépit de leur beauté, pour les vers de M. Leconte de Lisle.
Il est bien vrai que, malgré qu'on en ait, on cherche tou-
jours sous les vers l'âme du poète, or l'âme de Chénier,
de Lamartine, de Brizeux, de Musset, de Laprade sont atti-
rantes. D'autres ne le sont pas.