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LE CHRIST D'iVOIRE 191 entière. S'il n'avait pas voulu se résigner et oublier, c'était parce que dans le coup qui venait de le frapper, il avait reconnu le doigt de Dieu. Il avait appris, ainsi, que toutes les joies de ce monde sont vaines et éphémères, et c'est pourquoi il venait en toute humilité, demander à l'insu de tous ceux qui l'avaient connu, un asile dans cette maison, où il espérait trouver un bonheur, que rien ne pourrait troubler désormais. Puis enlevant le voile qui recouvrait son christ d'ivoire, il découvrit aux regards du prieur émerveillé, l'image du divin Crucifié. — Cette oeuvre, ajouta-t-il, que j'ai ciselée dans la dou- leur et dans les larmes, est tout ce que je puis vous offrir. Mais c'est le gage d'une vocation fermement arrêtée, et je serai heureux d'en enrichir la chartreuse de Bonpas, si vous daignez m'accorder la faveur que je demande. * ** Le prieur de Bonpas n'était pas seulement un homme de goût, pouvant apprécier, comme elle le méritait, l'œuvre admirable, offerte à ses regards. Mieux que tout autre, il pouvait comprendre la puissance du sentiment douloureux, sous l'empire duquel cet homme, jeune encore et déjà célèbre, renonçait ainsi à toutes les satisfactions de gloire et de fortune que l'avenir lui promettait. Car, lui aussi, il avait souffert et connu ce grand désenchantement de la vie, que provoque chez certaines âmes, soit une amère décep- tion, soit une grande douleur. Ce prieur était Dom Polycarpe de la Rivière, dont le nom et les écrits sont bien connus des bibliophiles et des