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96 LE MYTHE D'iO.
que M. Saint-Marc Girardm a caractérisées dans une
page célèbre. La grande poésie antique enlevait « la divine
face de l'homme » à ceux que la passion ou la douleur em-
portait hors des limites de l'humanité.
Eschyle parle d'Argus et de ses cent yeux, mais il ne
dit rien d'Hermès, et n'indique point comment mourut le
géant. « Un coup imprévu, dit seulement Io, le priva subi-
tement de la vie. » C'est supprimer de propos délibéré (car
l'intention est manifeste) tout un côté de la légende, et le
plus important à un point de vue. Ces détails omis à des-
sein contiennent , nous le verrons bientôt, tous le sens
astronomique du mythe. Eschyle l'ignore ou le mécon-
naît, ne voulant montrer dans cette histoire qu'un drame
humain.
Les voyages d'Io n'ont été évidemment pour le poète
que l'occasion d'une de ces revues géographiques comme
les Grecs les aimaient, et dont les exemples abondent dans
Homère, dans Pindare, dans les tragiques. La preuve,
c'est qu'ils diffèrent sensiblement dans les deux pièces.
Ces variantes nous conduisent à une autre conséquence :
l'itinéraire étant bien plus simple et moins intéressant
dans les Suppliantes, on peut en conclure que le Prométhée
est postérieur. Le poète a repris sa première esquisse pour
la compléter, l'enrichir de détails plus curieux et plus
brillants. Nous en avons une autre preuve et encore plus
concluante. Dans les Suppliantes, l'histoire d'Io est racontée
d'après les traditions vulgaires, et avec ce trait repoussant
que Zeus, lorsque son amante fut changée en vache,s'unit
à elle sous la forme d'un taureau. Conçoit-on que le poète
eût pu revenir à cette idée grossière après avoir dessiné
la pure et virginale figure du Prométhée ? C'est le con-
traire qui a eu lieu. Eschyle s'est épris de son modèle ; il
l'a idéalisé dans sa pensée, puis il en a refait le portrait,