page suivante »
"*
CHRONIQUE LOCALE
Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis.
Paris non plus n'est plus à Paris ; ne le cherchez ni au Bois, ni sui-
te Boulevard, ni même à Versailles ; il est au Parc de la Tète-d'Or,
Palais de l'Exposition, prenant des notes et faisant son courrier.
Bien entendu qu'il n'est question que de. cette fine crème qu'on est
-convenu d'appeler tout Paris et qui se compose de journalistes, d'ar-
tistes et de reporters. Quant aux boutiquiers, aux marchands, aux
bourgeois, ils n'ont pas encore quitté les bords fleuris qu'arrose la
Seine, mais de ceux-ci, quel souci?
Donc, Paris est à Lyon. Tout Paris est accouru dès l'ouverture de
notre immortelle Exposition. Plumes et crayons sont taillés et chacun
s'escrime à décrire les lieux et les choses, 'à faire des portraits, cro-
quer des physionomies lyonnaises, et découvrir la Méditerranée
comme feu Dumas.
— Tiens ! dit l'un, le Rhône et la Saône se marient à Lyon. C'est
drôle.
— Tiens ! dit l'autre, Lyon est au pied de la colline de Fourvière !
je l'écrirai à mon journal.
Celui-ci raconte que la Guillotière est bâtie sur un terrain de rem-
blais entièrement composé d'assiettes cassées et de tessons de bou-
teilles. Sur ces débris on a élevé des demeures dignes des habitants ;
c'est un ramassis de cabanes, de chaumières, de bouges, de taudis
d'un aspect indescriptible ; il y a de tout : des tentes, des wigwams,
des souterrains et des carrières ; là grouille et pullule une population
d'affreux bandits à qui la lampe et la bougie sont inconnues, et qui ne
vivent que de la bourse des malheureux qui s'égarent à la nuit tom-
bée dans ces quartiers maudits. Comme couleur locale c'est assez vrai
et assez réussi.
— Il y a un palais, dit un autre, ouvert, mais vide. On a oublié
d'y apporter des objets à exposer. Un malheureux fourgon jaune est
depuis un mois embourbé vers le viaduc de Genève. On croit qu'il
contient quelques marchandises, mais nul ne va s'en assurer ; Ã quoi
bon?
Ce même reporter qui trouve qu'il n'y a rien à l'Exposition ,
que les quatre murs, s'est rendu rue Grôlée, voir le club fameux qui
régit nos destins. La salle était vide. Seule, une vieille femme faisait
les honneurs de ce lieu terrible. Elle tricotait ; c'était une tricoteuse.
L'esprit troublé, le journaliste sort ; il contemple les huit ou dix
masures qui composent cette rue et il reste rêveur.
D'où vient ce nom bizarre : rue Grôlée ? se dit-il. Ah ! j'y suis.
« Cette rue a tiré son nom des grolcs, vieux souliers, des groleurs,
« raccommodeurs de chaussures éculées, dont les échoppes abondent