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DANS LES ALPES. 221 Ruitor et les cimes neigeuses de Cogne, de Savaranche et de Grisanche ; mais hélas ! à peine en route depuis une heure, la tempête nous surprend, terrible et majestueuse comme elle l'est toujours dans les Alpes. Eclairs lumineux, tonnerres sinistres, vent violent, pluie diluvienne. Pas un abri, pas un chalet, pas une hutte de pâtre. Nous nous li- vrons a une course au clocher de deux heures, au bout desquelles nous atteignons les premières maisons du gros village de la Thuille. Nous saluâmes comme la terre pro- mise le logis de bonne apparence où le brigadier Morel offre une hospitalité payante aux touristes, parmi lesquels il jouit d'une excellente réputation. C'est la seule hôtellerie abordable du pays. Hélas ! pas une place, pas un lit, pas même une botte de paille : tout regorge. Force est de continuer encore pendant vingt minutes notre course effré- née jusqu'à ce qu'enfin nous soyions reçus par faveur dans le plus détestable bouge que j'aie vu de ma vie, et qui prend, par euphémisme, le nom d'auberge. Là , on vous abrite, mais on ne vous sert pas. Nous allons chercher nous-mêmes au grenier la javelle que nous faisons flamber dans la che- minée, et arrachons a des lits repoussants les couvertures de grosse laine grise dont nous enveloppons nos corps glacés par la pluie. Nos habits de voyage sèchent tant bien que mal; "en guise de souper, nous avalons une omelette.fantastique, accompagnée de je ne sais quels mets sans nom dans les fastes culinaires, et nous allions nous livrer à un sommeil bien mé- rité, quand le bruit des sabots de plusieurs mulets frappant le pavé attire notre attention; hélas! quel spectacle! notre bril- lante et aristocratique caravane de l'hospice arrivait dans le plus piteux équipage qui se soit vu de mémoire de touriste. Les charmants costumes des belles voyageuses n'étaient plus que des loques informes, ruisselantes d'eau et de boue ; " elles-mêmes étaient plus mortes que vives. Comme nous,