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DANS LES ALPES. 355 est-il un peintre qui ait pu décrire ou retracer à son gré la di- vine perspective qui enchante le regard du haut du Rigi ou du Faulhoru ? — Non, cent fois non. — Cela échappe à la plume ou au pinceau. La nature , mère indulgente qui livre tant de secrets, s'est cependant réservé çà et là quelques buen-retiro auquel il ne faut pas toucher. Auteur bénévole, elle a défendu aux peintres et aux poètes la reproduction de certaines choses. Parmi ces choses, le panorama du Buel figure au premier rang. Je me garderai donc bien de la témérité d'une description. Il faut savoir dans ces cas-la se borner a une nomenclature, et procéder comme Homère, par voie de dénombrement. On énumère ce qu'on voit : l'imagina- tion du lecteur fait le reste. Or, ce qu'on voit du sommet du Buet, le voici. Au sud et sud-est, toute la chaîne du Mont-Blanc y com- pris les Aiguilles rouges que l'on croit presque toucher. Par un ciel pur et serein comme celui qui nous favorisait, il n'est pas une cime, pas une ombre, pas un repli de ter- rain dans ce gigantesque soulèvement qui ne vous soit par- faitementperceptible et tangible pour ainsi dire. Au sud-ouest, les chaînons infinis des Alpes dauphinoises. A l'ouest, tou- tes celles du Jura, les lacs entiers de Genève, d'Annecy, de Neuchâtel. Au nord, les profondes vallées de Sixt et de JSer- voz, et les Alpes bernoises dans toute leur splendeur. A l'est, les montagnes duSimplon, du Saint-Gothard, le Mont-Rosedans le lointain, et plus loin encore les sommités des Grisons. A cette courte énumération, quiconque a une notion un peu pratique des Alpes, devine les merveilles que nous sommes impuissant à décrire. Nous fîmes la, sur -cette cime, en face de ce spectacle, à l'ombre d'un roc neigeux, comme au Cramont, une de ces collations où la manne d'une extase céleste assaisonne les mets terrestres que vous mangez, et après deux heures d'une