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DEUX ITINÉRAIRES DANS LES ALPES. 213 Elle compte malheureusement peu d'adorateurs ; son au- tel est médiocrement fréquenté. Et cependant, vous tous, oh ! catarrheux, goutteux, rhu- matisants, apoplectique^,- vous que la pléthore étouffe ou que l'anémie fait languir, que de tributs vous devriez à cettemo- deste Déité ! quel culte il serait bon pour vous de lui rendre ! Peu attrayante, il est vrai, de prime-saut, elle gagne beaucoup à être connue, et quiconque a vaincu le premier éloignement qu'elie inspire, reste toujours au nombre de ses dévots. Dans mes nombreuses excursions de montagnes, il m'est arrivé souvent de m'asseoir a un table d'auberge en compa- gnie de touristes frais et dispos qui venaient de faire, sur une monture, la même traite que moi à pied. Exténué, rendu, haletant, imprégné de poussière, ruisselant de sueur, la voix presque éteinte, j'étais pour eux un objet de compassion et d'étonnement". A quoi bon, me disaient-ils, vous livrer à de tels excès de fatigue? Quel profit en retirez-vous ? Le profit que j'en retire, répondais-je; il est clair et net. C'est une exemption annuelle de tous les tributs que l'on paie à Esculape; c'est une assurance en bonne forme contre le rhume, le catarrhe, la goutte, la gravelle, le rhumatisme ; c'est la prolongation indéfinie de ma jeunesse; c'est la conservation de mes forces et de mon activité; c'est la condensation d'une vie nouvelle dans mes veines ; c'est le stimulant de mon intelligence, la verdeur de .mon imagination et le salut de mes facultés intellectuelles. Et quand, l'hiver suivant, je rencontrais ces mêmes rail- leurs, souvent mal portants et cacochymes , tandis que je m'offrais à eux plein de vigueur et de santé, ils me disaient en secouant la tête a la façon de Pandore : Brigadier, vous aviez raison ! Je ne parle pas des voluptés ineffables que dispense le voyage pédestre. Ceux-là seuls qui les ont connus peuvent