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  CHRONIQUE MUSICALE.-ALBONI                            ET PAUL JULIEN.

   Notre Grand-Théâtre a rencontré, ce mois-ci, une rare bonne fortune. Made-
moiselle Alboni nous est revenue, précédée d'une renommée immense, accrue
encore depuis deux ans, et, chose inouïe, on peut dire d'elle sans exagération
que son talent dépasse cette renommée ; nous lui devons du reste de doubles
actions de grâces. A son premier voyage, elle nous avait donné les prémices
de ses débuts dans le grand opéra ; à son second, elle s'est essayée pour nous,
et, pour la première fois, nous le croyons du moins, dans l'opéra comique.
   Il serait fastidieux de revenir, après tant de plumes compétentes et exercées,
analyser de nouveau ce merveilleux talent. Nous pourrions, tout comme un
autre, et sans savoir le premier mot de musique, déclarer que sa voix par-
court deux octaves et demie, depuis le fa de la clé de basse jusqu'à l'ut aigu
des Soprani ; et, comme il ne faut jamais être pédant à demi, nous pourrions
ajouter en outre, sur la foi d'autrui bien entendu, que les notes sol la si do qui
servent de transition entre la voix de tête et celle de poitrine sont un peu
sourdes et un peu faibles chez Mademoiselle Alboni. Mais qu'est-ce que cela
prouve, comme disait le mathématicien entêté ? Une seule chose reste cer-
taine, c'est que Mademoiselle Alboni est une cantatrice de premier ordre,
mais une cantatrice de concert. Si jamais l'expression de timbre d'or a été
vraie, appliquée à une voix humaine, c'est à la sienne. Il n'existe certainement
pas en Europe, à l'heure qu'il est, une voix qui lui soit comparable en
pureté, en rondeur et en étendue ; c'est un miracle de limpidité et de
fraîcheur. On serait même quelquefois sur le point de lui reprocher ces
qualités; l'émission de sa voix, en effet, est tellement exempte d'efforts,
de travail apparent, d'intentions visibles, que l'oreille, à la longue, en est
secrètement impatientée , tant l'idée d'art est inséparable de l'idée de
peine et de travail. Le travail ! l'effort ! c'est par eux que se trahit la vie, ce
qui nous émeut, ce qui nous passionne, ce qui nous attire, comme la flamme
attire la flamme. Il est dans notre nature de chercher la vie, parce que la vie.
d'autrui alimente et augmente la nôtre.
   L'impression que fait éprouver ce chant si constamment et si naturellement
suave est analogue à celle qui résulte de la lecture de vers trop faciles, ou
plutôt on croirait entendre un instrument magique que fait résonner un
souffle inanimé et non vivant. Or, telle perfection et tel charme qu'on puisse
prêter à un hautbois, à une flûte, à un tuyau d'orgue organisé, tout cela sera
loin néanmoins d'émouvoir comme la voie humaine. Celle-ci émeut en propor-
tion de la dose d'âme et de vie qu'elle contient.
  II y a des vocalises, des trilles, des jaillissements de notes qui font naître
subitement dans l'esprit de tout le monde des métaphores qui se lient à
des souvenirs de flamme et de, lumière, comme celles-ci: Fusées de notes,