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494                    DE L'ENSEIGNEMENT
plus humain, plus pratique, ne sera-t-il pas plus près d'être un
homme de sens, c'est-à-dire de connaître les affaires et les
hommes, que celui qui n'aurait étudié que les stériles évolutions
des lignes et des nombres? Le préjugé qui attribue aux hommes
de science un sens plus droit qu'aux ^ens de lettres, ne serait pas
difiicile à ruiner complètement, si les tendances matérialistes de
l'opinion ne lui venaient en aide. On prône les sciences, parce
que chacun les croit à sa portée, tandis que tout le monde sent
que l'imagination nous est donnée ou refusée, et qu'elle vient
d'en haut.
    Si donc il fallait répudier les lettres comme premières nour-
rices de l'intelligence, j'aimerais mieux, même au seul point
de vue du bon sens à acquérir, du jugement à former, ré-
 duire l'éducation à l'étude de l'un des beaux-arts. Sans parler
 de toutes les autres facultés, la raison se formerait mieux en
dessinant avec correction un arbre, une tête, une main, qu'en
reproduisant sur le tableau tous les théorèmes de la géométrie.
Une bouche ou un œil, copiés avec vérité d'après la nature, sup-
posent , chez le peintre, plus de sagacité, de justesse d'observa-
tion, de liberté d'esprit, de jugement droit, de bon sens en un
mot, qu'un professeur d'optique n'est obligé d'en dépenser dans
tout le cours de ses études.
    Interrogeons, d'ailleurs, notre expérience de tous les jours et
ce que nous possédons chacun de connaissance du monde sur
 cette supériorité de jugement que s'attribuent les hommes nour-
ris de sciences exactes. La géométrie et l'algèbre ont-ils défendu
 bien efficacement leurs adeptes des plus folles erreurs de notre
 siècle ?
    Le Saint-Simonisme et le Fourriérisme ont recruté un peu
 partout ; mais qui leur a fourni leur état-major? est-ce la poé-
 sie ou la science ? N'ont-ils pas enrôlé surtout dans une école
 célèbre qui se considère elle-même comme le sanctuaire des
 études exactes, et d'où il est sorti jusqu'à présent beaucoup d'agi-
 tateurs et d'utopistes, si elle a produit peu de grands savants.
    Qui, de nos jours, n'a payé son tribut à l'utopie ? qui n'a voyagé
 un peu de son cabinet, ou même de son comptoir, dans le pays