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CHROMQUE THÉÂTRALE. LE PROPHÈTE. — LA PAYSANNE PERVERTIE. — M m e PAUL ERNEST. — DIANE, par Emile AUGIER. — ULYSSE, par M. POHSABD. En dépit de tous les sacri6ces auxquels il se vouait, M. Delestang a tenu à honneur de monter le Prophète, cette œuvre immense comme Meyerbeer ose seul les entreprendre et sait les mènera bonne fin. C'est là , en effet, tout un monde à faire mouvoir, toute une époque à faire revivre avec ses passions du moment, ses erreurs et ses crimes, c'est toute une création. Le Prophète, c'est un feuillet de l'histoire de l'humanité, feuillet sanglant, comme il en est tant, où les Anabaptistes nous montrent sous d'autres noms, sous d'autres formes, les mêmes passions de la multitude, les mêmes instincts, l'envie et la haine de nos Jacques modernes. Jamais œuvre ne pouvait arriver avec plus d'opportunité pour setvir de miroir et d'enseignement à une génération tra- vaillée des mêmes maux. Une pareille partition n'est pas de celles que l'on puisse juger après une ou deux auditions. Il faut l'entendre et l'entendre encore, avant d'oser prononcer un jugement. Devant l'œuvre de plusieurs années de médita- tions et de veilles, une soirée peut-elle suffire ? Ce sont là de ces spectacles si grandioses qu'il faut du temps pour les embrasser de l'œil, pour les scru- ter dans chacune de leurs parties, pour s'y faire, en un mot. On est ébloui tout d'abord, comme en l'ace de ces splendides merveilles de la nature où nos sens ne suffisent plus. Il y a, à travers celte musique si variée et si multi- ple, quelque chose de sombre et de sauvage qui vous saisit tout d'abord et ne vous quitte plus jusqu'à la fin. Vous vous sentez sous l'influence du Dieu, de l'auteur des Huguenots et de Robert. Il est des morceaux d'une originalité telle qu'ils s'emparent de vous de prime abord, ainsi de ce trio : verse, verse ! que chantent les chefs des Anabaptistes. Mais nous aurions trop à citer et pas assez d'espace. Le Prophète, disons-le en l'honneur de tous, sollicitera long- temps la curiosité publique par le luxe de sa mise en scène, par le mérite artistique de ses décors, par la nouveauté de ses danses sur la glace et de ses scènes de patineurs, enfin par la sévérité de son exécution musicale et le ta- lent de quelques-uns de ses interprêtres, à la tête desquels se place Madame Lacombe. Il n'existe, après l'Opéra, aucune scène où l'œuvre de Meyerbeer puisse être rendue comme elle l'est sur la nôtre. M. Cauchois Lemaire se plaignait de refaire, depuis quarante ans, le même article ; MM. Dumanoir et Deunery se complaisent, eux, à relaire la GrtXce de. Dieu, leur poule aux œufs d'or. La Paysanne pervertie nous offre la mêm e facture, les mêmes péripéties sous d'autres noms, sous d'autres habits; mais qu'importe: la pièce intéresse; on y pleure d'un bout à l'autre. La mise en scène est pleine d'élégance et l'exécution parfaite. Mme Anai's Rey trouve encore une fois l'occasion d'être simple et émouvante ; elle a des mots pris sur nalure qui enlèvent son auditoire. Mlle Freueix y est d'une charmante espièglerie, M"e Corès naturelle comme toujours, et MraeBallaury a de beaux mouvements dramatiques. M. Bondoisjoue, en véritable comédien qu'il est, un rôle qui demande de nombreuses nuances et il s'y montre tour à tour naïf, spirituel et plein de cœur. Chacune de ses créations nous le fait appré-