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448                     - CHRONIQUE MUSICALE. "
gammes élineelantes,'etc."Jamais le chant de Mademoiselle Alboni n'appellera
ces comparaisons. Qu'elle se produise dans la Favorite ou le Barbier, qu'elle
soit Rosine ou Léonor, c'est la même égalité d'humeur musicale, c'est le
même charme, c'est enfin delà même manière qu'elle provoque l'admiration.
Sans-doute, dès son berceau, elle a chanté ainsi. A quoi lui aurait servi un
maître? Rien n'a pu se passer dans sa vie qui ait été une révélation ou une
excitation ; jamais elle ne s'est tordue avec ivresse dans les flammes d'un rôle,
comme l'oiseau fabuleux de l'antiquité qui se consumait sur un bûcher pour
rajeunir et pour renaître* Elle n'a même pas l'air de chercher les applaudis-
sements; chanter lui suffityee semble ; on dirait que, pour elle, chanter ad-
mirablement, c'est simplement accomplir la loi de sa nature et qu'elle n'y
trouve à cela nul mérite et n'en tire aucune vanité.
    Tout son extérieur reflète le caractère de son talent : un gracieux visage de
jeune garçon d'où le tranquille enjouement a banni jusqu'à l'ombre d'un pli,
les contours pleins et arrondis, les cheveux courts, une sorte de paresse
 orientale dans ses allures, des formes opulentes qui lui interdisent les mou-
 vements brusques, les élans de la passion. De sa bouche de marbre souriante,
 la voix s'échappe comme un flot de cristal immaculé ; mais si le murmure des
 fraîches eaux réjouit l'oreille, il répand aussi dans l'air un froid invisible.
    On admire, on est charmé, on applaudit, on se dit : il est impossible de
 mieux chanter, il est impossible de rencontrer un plus magnifique organe ;
jamais gosier n'a rendu de^ sons pareils, et cependant on se prend à sou-
haiter encore quelque chose, le mens divinior, le souffle agitateur dont parle
"Virgile, mens agitai molem.
   Le jeune Paul Julien s'est fait entendre au Cercle musical et au Grand-
Théâtre. Ce n'est plus là un enfant prodige, c'est déjà un violoniste de pre-
mier ordre. La simplicité, la correction, le jeu large, le grand style attestent
une nature d'artiste aussi profonde que précoce. Nul ne doute de l'avenir qui
lui est réservé, et ses maîtres moins que personne : le livre sera digne de la
préface et le jeune homme de l'enfant.
   Terminons par une indiscrétion : Notre habile chef d'orchestre, encore
sons l'empire de son admiration, pour Julien et le retrouvant dans fia loge
de M. D**", un de nos amateurs les plus distingués, détache lafchaîne de
sa montre et prie Julien de vouloir bien la garder comme un souvenir ; M.
D***, à son tour, demande la permission d'y suspendre quelque chose,Fet le
lendemain, Julien recevait de M. D*** une belle montre et notre chef d'or-
chestre une superbe chaîne, en remplacement de la sienne, avec une lettre
des plus aimables.                                   J. ^TISSEUR,

       LÉOH BOITEL, directeur-gérant.