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                      LA COUSINE BRIDGET.                      175
    « Celui sur lequel mon cœur avait fixé son choix était venu
visiter des amis de ma tante, et ne quittait presque pas la mai-
 son de celle-ci. Jamais, jusqu'à ce moment, personne ne m'a-
vait donné de marques d'attention. C'est pourquoi ses soins
constants, sa bonté me rendirent plus heureuse que je ne puis
le dire. Il chantait avec moi, lisait avec moi, se promenait avec
moi, dessinait avec moi, écoutait avec empressement mes moin-
dres paroles, applaudissait à mes sentiments, les partageait ;
pour tout renfermer en un mot, ces six semaines ont été toute
ma vie.
   « Elles finirent pourtant, et je retournai à la maison pour
recevoir les mêmes regards froids, les mêmes paroles froides ;
pour chercher vainement l'accueil du retour, pour trouver ma
sœur plus aimable, mon père plus tendre pour elle que jamais.
Quoi d'étonnant alors dans l'habitude que je pris de garder
constamment ma chambre ou de m'échapper dans les bois pour
vivre dans la compagnie du passé.
   « Un jour — vous pouvez imaginer mes sensations — on
sonna bruyamment à la grille et il fut annoncé. J'étais seule dans
le salon ; je m'élançais au devant de lui les mains tendues ; il les
prit, les secoua avec chaleur et me dit que, se trouvant dans le
voisinage, il était venu prendre de mes nouvelles.
   « Tandis qu'il parlait et que, moi, je m'abreuvais de chacune
de ses paroles, la porte s'ouvrit et Agatha entra. Je le regardai,
et, avec une cruelle sensation au cœur, je le vis tressaillir et
changer de visage.
   '< Je ne puis raconter le mois d'agonie qui suivit ce jour.
Même aujourd'hui, son souvenir m'agite encore. Mon destin me
poursuivait— il aimait ma sœur !
   « Avant que je l'eusse connu chez ma tante, il avait par-
couru tout le voisinage et, dans ses promenades, avait rencontré
fréquemment Agatha. Pour lui, comme pouf toute chose vivante
ou inanimée, lavoir, c'était l'aimer. Jusque là, il avait ignoré que
la suave vision; qui avait si souvent croisé son ch'emin, fut ma
sœur. Sa surprise, son bonheur furent sans limites, il vint et
revint sans cesse et j'eus à endurer la torture de voir les doux