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              Quel est l'affligé qui t'implore,
              Et qui reste dans l'abandon ? »

              Elle dit. Du feu qui le noie
              Sort un jeune homme radieux.
              La pauvre mère dans la joie
              N'alla pas seule dans les cieux.

   Mais ce ne sont pas des beautés partielles qui suffisent à
un poème, à un genre d'ouvrage essentiellement créateur,
suivant le sens de son nom. Il faut un intérêt puissant qui
attache le lecteur et ne le laisse pas languir ; il faut quelque
chose d'émouvant et de fort qui le passionne pour les fictions
de l'écrivain. Or, la grande élégie de M. Reboul nous semble
pécher de ce côté-là, et il serait difficile de savoir précisément
à quoi l'esprit peut ici se prendre. C'a été un malheur pour
le poète de glaner dans un champ moissonné par Dante, su-
blime ouvrier sous la main duquel tout s'anime d'une dou-
ble vie, la vie de réalité et celle de l'idéalisme. Ce n'est pas
pas sans motif, par exemple, que Béatrix le guide et l'éclairé;
mais, dans le Dernier Jour, quel intérêt humain s'attache au
céleste conducteur du poète ? Pourquoi n'avoir pas choisi de
préférence quelqu'un de ces êtres pleures sur terre, vieille et
sainte amitié qu'il eût retrouvée là-haut, et sur les pas de la-
quelle il se fût avancé dans les profondeurs de l'éternité?
     J'ai dit que nos imaginations modernes me semblent
inhabiles à susciter ces grandes et bibliques scènes que le
moyen-âge évoquait toutes vivantes, et qui accouraient à la
voix de ses poètes, de ses chroniqueurs, de ses plus humbles
moines. C'est qu'ils ont une puissante foi dans les capricieuses
fantaisies de leur esprit, et qu'autour d'eux tout semble atten-
tif au merveilleux enfantement, tandis que nous écrivons, nous
autres, beaucoup trop avec le cerveau, pas assez avec le cœur.
   M. Ozanam, dans un excellent ouvrage où il apprécie Dante
et la philosophie catholique au XIIIe siècle (1), a écrit un cha-

  (1; Paris, Debécourt; Lyon, Gihberton et Brun, 1839, in-8°, pag. 525-555,