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            ROBERT LAURENT-VIBERT

      La mort d'un homme chargé d'années, au soir d'une longue vie, abon-
dante en travaux, nous semble une injustice que nous ne pouvons suppor-
ter. Chaque séparation nous est un arrachement, mais le malheur qui frap-
pe avec une effrayante soudaineté nous laisse incertains et incrédules. La
main forte et chaude de vie que nous tenions si bien serrée dans les nôtres,
la voilà qui nous échappe, et nous la sentons encore. Cette mort toute brute
qui se dresse tout à coup comme un bandit de grand chemin, au détour d'un
mur, et qui assassine avec un aveuglement inoui l'être le plus digne de vivre,
en plein rayonnement de sa jeune maturité, au seuil de l'âge royal et des gran-
des œuvres, non, ce n'est pas un événement, ce n'est pas de l'ordre des réa-
lités, c'est un songe impossible, c'est le cauchemar d'un crime à jamais
impuni et qui nous atteint tous au cœur.
      On me demande d'écrire sur Robert Laurent-Vibert, et c'est à lui qu'il
me semble que j'écris. Je le vois et je l'attends, dans sa vigueur heureuse,
avec son beau et bon visage, avec sa parole si riche, si savante, si nourrie
d'humanité. Mille souvenirs remontent de ma mémoire avec une sorte de
violence et me le rendent présent et vivant, d'une obsédante intégrité. Jamais
il ne fut plus voisin de nos cœurs, plus mêlé à nos vies, plus impatiemment
aimé, plus nécessaire à notre sentiment de l'ordre, à notre tendresse
d'amitié, à notre besoin de bonheur. Nous ne pouvons nous arracher à lui.
Hélas ! Il nous a quittés. Il n'est plus. Quel effort ne nous faut-il pas faire
pour nous représenter son anéantissement, pour nous dépouiller de lui, qui
est tout en nous ?
      Certaines vies ne tiennent à rien, ou à bien peu, et il est vrai de dire
que leurs jours ont coulé comme une eau transparente, incolore et vaine.