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— 232 — A partir du moment où Dumas a pensé à se débarrasser de Poivre, les relations entre les deux hommes prennent un caractère marqué d'ai- greur et d'hostilité. Passons rapidement sur le refus opposé par l'intendant au commandant de lui fournir du papier pour ses dépêches. Laissons même de côté l'anecdote des six négrillons achetés à Madagascar pour le compte du commandant et dont il a grand peine à obtenir livraison et dé- charge (ce qui lui donna l'occasion d'écrire un billet des plus raides à Poivre) l . Ce sont là menues taquineries entre chefs de service qui ne sont pas seulement d'ancien régime. Mais derrière Poivre nous voyons apparaître bientôt la coalition des propriétaires et des magistrats. M. Hermans, par exemple, dont le beau- père, M. de la Roche de Ronzi est un planteur notable, refuse d'envoyer ses ouvriers blancs à la cérémonie d'installation du commandant de son quartier. M. de la Roche, lui-même, n'entend point fournir de noirs à la milice, encore qu'il soit capitaine d'une compagnie. Personnage considérable sous l'administration ancienne, fort habile et très supérieur par ses talents à son entourage, M. Hermans avait acquis une situation prépondérante et nourri l'ambition de devenir gouverneur des Mascareignes. Dumas l'englobe parmi les fauteurs du « complot qui tend à dégoûter le Roi de la charge de ces colonies »2 et trouve la preuve de son action dans les faits et gestes d'une « Chambre syndicale » que l'intendant soutenait, d'accord avec le Conseil supérieur. Il existait à l'Ile de France, depuis 1762, des syndics élus pour trois ans par les habitants et qui exerçaient certaines fonctions municipales sous l'autorité des commandants de quartier. En 1765, on leur adjoignit des « députés », également élus, « chargés de faire au gouvernement des représentations sur toutes les affaires relatives aux intérêts des habitants ». Ce fut l'origine de la « chambre syndicale » qui, à la faveur du change- ment de régime de 1767, s'arrogea des droits qui ne lui appartenaient 1. Copie de toutes les lettres écrites par M, Dumas, 16 novembre 1767, à M. Poivre : « Je ne dois être ici l'esclave de la mauvaise humeur de personne, et qui que ce soit, pas même vous, M. l'Intendant, n'est en droit d'en montrer avec moi. Je rendrai compte au ministre de ce procédé qui n'est pas fait pour m'éton- ner, mais qui sans doute lui paraîtra fort extraordinaire ». 3. Journal de M, Dumas, 12 octobre 1767.