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— 197 — et des individus. Ceux-ci, en avançant en âge, mesurent l'Idéal, donc le tuent. Ils le chassent du ciel, l'humanisent, le limitent, le réalisent dans une forme. Il devient ainsi le réel. Plus il y a de réel, moins il y a d'idéal. Trop d'idéal, pas assez de réel. Sous le nom d'idéal on se satisfait d'indéfini, on méprise le réel, on dédaigne la forme considérée comme un obstacle à l'Idéal et on ne la tolère que comme simple vêtement. Plus elle est consciente, pensée, plus on l'estime, en oubliant que plus il y a de pensée dans la forme, moins il y a de poésie. « L'erreur, dit De Sanctis, réside dans cette dépréciation de la forme. Car ce qui importe, c'est la forme. Il faut donc renverser les données du problème, mettre le réel où il y a l'idée, l'Idéal n'étant, en fait, que le Réel lui-même ». Mais alors, on doit prendre une précaution qui est de ne pas con- fondre réalisme et matérialisme, et de substituer à un Idéal abstrait un Réel également abstrait. Car le matérialisme, en art, c'est la réalité pure, abstraite, morte. De la poésie il fait une copie. Idéal abstrait, Réel abstrait, deux théories qui aboutissent, l'une et l'autre, à l'anéantissement de l'art. Le réalisme de De Sanctis, au contraire, vise à un renouvellement de l'art. De Sanctis pense que le progrès, pour l'humanité, consiste à réaliser progresssivement ses propres idéalités. Par conséquent, être réaliste, c'est avoir un art en progrès. Or si l'idéalisme est un état dépassé qui aboutit, en art, à la destruction de la forme, le réalisme, qui s'y oppose, doit aboutir à son triomphe. Qu'est-ce donc que la forme ? Pour De Sanctis, la forme n'est pas parole, période, vers, image particulière, hypostase métaphysique. Elle est autre chose. Il écrit : « Chaque science a ses antécédents. Pour l'esthétique, c'est le contenu abstrait. La science commence quand le contenu vit et se meut dans le cerveau de l'artiste et devient forme. La forme est donc le contenu lui- même, en tant qu'il est art. La forme n'est pas, a priori, quelque chose qui se tienne tout seul, un ornement différent du contenu. Elle est, au contraire, engendrée par le contenu, actif dans l'esprit de l'artiste. Tel