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— 52 — ches avec des pointes, des aigrettes, de vives crêtes, toutes les fantaisies qu'on attribuerait au ciseau d'un spirituel découpeur. Sur ce bizarre ensem- ble, de scintillantes étoiles versaient leurs influences bénignes. L'hiver était sur la terre, dans cette maigre forêt ; l'été semblait déjà venu au ciel, à voir ces belles étoiles paisibles, surtout au loin Vénus qu'on distinguait à une teinte d'or ». Par contre, il trouva moins de poésie dans les paysages de vignobles, appauvris par l'hiver, étriqués et mornes, piquetés et hérissés d'échalas sombres. Après deux nuits et une journée de voiture, il arriva à Autun, le mardi 26 mars, à quatre heures du matin. C'est avec une joie d'historien et d'archéologue qu'il salua la ville antique dont il avait déjà parlé, avec plus de poésie d'ailleurs que de vérité. « Autun, la vieille cité druidique, avait jeté Lyon au confluent du Rhône et de la Saône, à la pointe de ce grand triangle celtique dont la base était l'océan, de la Seine à la Loire. Autun et Lyon, la mère et la fille, ont eu des destinées toutes diverses. La fille, assise sur la grande route des peu- ples, belle, aimable et facile, a toujours prospéré et grandi ; la mère, chaste et sévère, est restée seule sur son torrentueux Arroux, dans l'épaisseur de ses forêts mystérieuses, entre ses cristaux et ses laves » \ Michelet n'avait qu'une journée pour visiter la ville et n'en voulut distraire aucun instant. Il griffonna rapidement un billet pour sa femme % mais il remit à plus tard la lettre qu'il destinait à madame Angelet. La voici, datée du 30 mars et timbrée de Lyon. Lyon, samedi 30 mars 1839. Madame, J'avais conçu mon voyage d'une manière trop ambitieuse. Si j'allais jusqu'en Provence, je dépasserais certainement le terme de quinze jours 3. Je m'arrêterai à Lyon. Lyon et Saint-Etienne, c'est assez pour occuper, non seulement huit jours, mais huit mois, huit années peut-être. 1. Tableau, de la France. Œuvres complètes, édition définitive, Flammarion, tome II, p. 70. 2. Lettre inédite du 26 mars 1839. 3. Michelet semble donc avoir eu, pendant quelque temps, l'espoir qu'il pourrait prolonger son voyage au delà de Lyon. Mais, après avoir mis six jours pour venir de Paris à Lyon, il se rendit compte qu'il devait renoncer à cette illusion. Il n'avait obtenu qu'un congé de quinze jours de la Direction des Archives.