page suivante »
BON JUAN. 145 on saisit ici les affinités secrètes du Don Juan et du Tartufe ; on entend déjà les fameux vers du cinquième acte : Vos injures n'ont rien à me pouvoir aigrir, Et je suis, pour le ciel, appris à tout souffrir. Le Don Juan espagnol nous a peint les écarts de la passion dans un âge de naïve croyance ; le Don Juan de Molière, les efforts de l'hypocrisie pour s'assurer l'impunité au sein d'une société religieuse. Les Don Juan modernes lèveront le mas- que, et improviseront pour se justifier une théorie de l'im- moralité. Je ne parlerai pas des nombreuses imitations de Don Juan au XVIIIe siècle, qui personnifiait, sous des noms divers, les mœurs effrontées de la Régence, héros monotones qui s'agi- tent dans un tourbillon d'intrigues et parmi lesquels Lovelace seul aurait quelque grandeur. J'excepterai seulement Lorenzo da Ponte, qui, sous l'inspiration de Mozart, a, dans des vers souvent heureux et toujours faciles, groupé autour de Don Juan ces charmantes figures d'Anna, d'Elvire et de Zerline qui expriment d'une façon si touchante l'amour pur, l'amour outragé, et la confiance naïve d'une simple jeune fille, u» instant fascinée par le regard séducteur de Don Juan, mais assez heureuse pour éviter le piège où tant d'autres ont suc- combé. Je veux signaler un nouveau Don Juan, créé par Byron, instruit par Hoffmann, chanté par Musset, vrai Pro- tée qui, sous mille formes , tient une place considérable dans notre littérature. Le Don Juan de Byron est l'enfant gâté du scepticisme et de l'immoralité. Jeune, beau, intrépide, il traverse la so- ciété sans se soucier de ses lois, éveillant sur son chemin les émotions de l'amour, mais bien rapidement consolé quand il a éprouvé une émotion réelle, indifférent a tout, ne se donnant pas même la peine de rien nier. Quel admirable pré- texte qu'un tel héros pour, exercer l'amère ironie et la verve sarcastique de Byron, pour entraîner un instant le lecteur ému dans les régions les plus hautes, et le faire retomber tout à coup au bruit d'un éclat de rire qui l'avertit que le poète se moque de son propre enthousiasme ! Mauvaise et coupable poésie qui méprise les plus nobles instincts de notre nature, qui détruit par le persifflage ses plus belles inspirations, semblable a un artiste qui, après avoir crayonné quelques admirables figures, prendrait aussitôt plaisir a les effacer 10