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DON JUAN. 143 religieuse, Molière, à force de génie, l'a rendu presque na- turel. On a parlé de la géométrie du style de Pascal, il y a une sorte de géométrie dans la conception de Molière ; son héros s'avance comme par une progression régulière dans la voie du vice ; chaque scène le rend plus odieux ; il tombe au moment où l'hypocrisie met le comble a sa scélératesse, où le spectateur craignait que ce voile commode ne lui assu- rât l'impunité. Habitué a faire sortir les situations dramati- ques du développement naturel des caractères, Molière a racheté ainsi tout ce que cette demi-légende tronquée avait d'invraisemblable dans son œuvre ; il fait, c'est le comble de l'art, périr Don Juan au moment où le spectateur désirait que la Providence en purgeât la terre. En effet, comme il marche rapidement vers l'abîme ! Dès le début, ce n'est déjà plus le vice emporté, irréfléchi, né de l'ardeur des passions méridionales ; c'est le vice fanfaron qui s'admire lui-même et se ménage avec soin des jouissances toujours nouvelles. « Tout le plaisir de l'amour est, dit-il, dans le changement. On goûte une douceur extrême a ré- duire, par cent hommages, le cœur d'une jeune beauté, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine a rendre les armes, a vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur.... Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire, ni rien a souhaiter ; tout le beau de la passion est fini... Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne ; j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants qui volent perpétuellement de victoire en victoire et'ne peuvent borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs ; je me sens un cœur a aimer toute la terre, et comme Alexandre, je souhai- terais qu'il y eût d'autres inondes pour pouvoir y étendre mes conquêtes amoureuses. » Nul frein ne pourra retenir une âme si profondément cor- rompue. Il dédaignera le pur amour que lui portent les plus nobles de ses victimes, et se débarrassera dédaigneusement des instances d'Elvire en lui alléguant de faux scrupules re- ligieux ; il n'oserait être l'époux d'une personne qu'il a témé- rairement ravie à la clôture d'un couvent, et à quelques pas de la il étalera complaisamment son incrédulité aux yeux effrayés de son valet : « Je crois que deux et deux sont qua- tre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit. » Mais ce n'est pas assez d'être sceptique ; il faut faire pénétrer le