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3D0 UNE PRIMA DONNA et surtout quelques-unes de nos villes les plus populeuses et les plus riches pour savoir comment se tiennent ces tumultueuses assises dramatiques. Une demi-douzaine de messieurs organisent à l'avance des cabales, qui pour celui-ci, qui contre celui-là : on acceptera cette grande coquette, on congédiera cette ingénue. On sifflera ee jeune premier parce qu'il est trop maigre, on sifflera cet autre parce qu'il est trop gras. Il y a dans telle ville des abonnés qui ont signifié au directeur du théâtre, qu'ils ne recevraient pas une jeune première pesant plus de cinquante-cinq kilogrammes. La beauté, prétendent-ils, est toujours légère. Je pourrais citer encore une ville où , quand le temps des débuts d'une troupe de comédiens était arrivé, les autocrates du parterre se réunissaient au ,café et y jouaient au domino le succès ou la chute du père noble, du ténor ou de la dugazon. Je ne sais si la jeune actrice qui remplissait ce dernier emploi dans la nouvelle troupe en début avait été ainsi sacrifiée à l'avance : tout ce que je puis dire, c'est que cette débutante était accorte, vive, spirituelle, agaçante, et qu'elle chantait fort agréablement les rôles de son répertoire ; elle devait donc être reçue. Les applau- dissements de la saine partie du public ne lui avaient pas fait faute ; mais la cabale d'un grand meneur en ayant décidé autre- ment, la pauvre dugazon sombra sous la raffale des cl§s forées, an milieu d'un tapage à briser les banquettes. Jusque là rien que de très-ordinaire. Le plus curieux le voici : Le lendemain de cette tempête qui enleva la dugazon, il y avait le matin répétition au théâtre. Il est admis parmi les comédiens de la province, et même aussi parmi les comédiens de la capitale, que dans les répétitions chacun apportera son contingent de nouvelles et de cancans qui courent la ville. On y parle de tout, hormis de la pièce qu'on doit répéter. — Ah ! ah ! messieurs et dames, fit une grosse voix qui par- tait du fond du théâtre, voici du nouveau ! de l'intéressant !.... ça vient de paraître !... C'était le comique de la troupe, artiste fin et mordant, à la figure illuminée de goguenardise : il se rendait comme ses ca- marades à la répétition pour ne pas répéter.