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DANS LES LITTÉRATURES CLASSIQUES 32$ façon insuffisante ; aussi nous contenterons-nous de ranger Sancho et son âne parmi les chevaliers du Bons-Sens. Il y en aurait bien d'autres à citer dans les œuvres de toutes les époques; mais leur nombre même excuse toutes les omissions, dans une étude aussi brève et aussi fantaisiste que celle-ci. Notre siècle a connu Y Ane mort ou la femme guillotinée, de Jules Janin. Chariot, c'est le nom de cet âne, symbolise les vertus domestiques, vendues, déshonorées, tuées en un mot, par cette femme qui va expier sa faute sur l'échafaud. Il y a YAne de Pierre Dupont, sans prétention au bon sens ni à la vertu, celui-là , mais paillard, farceur et se laissant peu troubler par les révolutions de ménage auxquelles il se trouve mêlé bien involontairement. Il y en a sans doute bien d'autres encore, mais l'énumération a été déjà longue et il est temps de la terminer par un âne dont le père passe pour être le plus grand poète du dix-neuvième siècle. Fort heureusement pour Victor Hugo, l'Ane n'est pas son seul titre à l'admiration de la postérité, car il ne suffirait pas à justifier la renommée dont le poète a joui pendant sa vie, et les honneurs qui ont transformé sa mort en apothéose. Qu'est-ce que cette bourrique qui s'appelle Patience, qui a parcouru deux fois le cycle entier des connaissances humaines et qui, redescendue de ces hauteurs, se permet de tenir tête aux philosophes et de condamner l'homme? De quel droit reprend-elle sous une forme triviale les sublimes gémissements de l'Espoir en Dieu ? De quel droit critique-t-elle avec une mauvaise foi et un parti pris évident la conduite de l'homme à l'égard des enfants, des génies, de la création, de la société et de lui-même ? Que n'est-elle retournée, dès la première page, brouter l'herbe fleurie et se gratter « l'échiné aux bons cailloux du vieux globe éternel ? » N » 4 . — Octobre 1894. 22